L'UE doit redéfinir une politique commerciale ambitieuse

Les hésitations de l'Union européenne (UE) dans le cadre des dernières négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont montré la nécessité de redéfinir une position cohérente de ses membres. Au lieu de favoriser à nouveau les accords bilatéraux, il serait préférable d'opter pour une approche unifiée, basée sur une libéralisation plus large, en particulier dans le secteur des services, estiment Dimitri Grygowski, économiste, et George J. Eapen, avocat.

La conclusion du cycle des négociations de Doha (Qatar) constitue une échéance pressante pour l'Europe et le monde dans son ensemble à mesure que les conditions économiques et financières continuent à se dégrader. S'il n'est jamais facile de reconnaître la vérité, force est de constater les hésitations de la politique commerciale extérieure de l'Union européenne (UE). Jadis vecteur essentiel de la personnalité extérieure de la Communauté, les vicissitudes actuelles de la politique commerciale commune traduisent l'effritement des prérogatives de la Commission.

Jusqu'à la conclusion du cycle de l'Uruguay Round en 1993, la mécanique de libéralisation des échanges commerciaux reposait sur une logique assez simple: des sacrifices mutuellement consentis entre les parties étaient compensés par des gains mesurables en termes de revenu disponible. Certes, contrairement aux idées reçues sur la globalisation, la libéralisation commerciale est loin d'être complète. On peut même dire qu'elle ne fait que commencer. L'Uruguay Round a fixé la moyenne des droits de douanes à environ 4% dans les pays industrialisés (au lieu d'environ 6% auparavant), mais seulement pour les biens manufacturés.

Mais libérer les échanges commerciaux ne veut pas dire stimuler la croissance du commerce international à n'importe quel prix. Ce fut le message dominant des manifestations de Seattle (Etats-Unis). Or, aujourd'hui, les baisses unilatérales des droits de douanes consenties par les puissances commerciales du Sud ? Chine, Brésil, Inde en particulier ? comme le déplacement du commerce dans le secteur des services placent la Commission européenne au pied du mur. Enfin, la réforme de la politique agricole commune (Pac) est étroitement imbriquée avec la refonte des instruments et du périmètre du budget européen.

A Doha, la Commission européenne fait les frais de son manque de cohérence. Cette situation est aggravée par les positionnements de la France sur l'ouverture du marché agricole européen, mais davantage encore sur les négociations portant sur les services. Pour pallier l'enlisement des négociations de Doha, la Commission européenne a décidé d'accélérer la négociation d'accords commerciaux bilatéraux. Jusqu'à présent, l'Europe avait utilisé la voie bilatérale avec parcimonie. Désormais, Peter Mandelson prend clairement le parti d'exhumer l'approche duale des années 1960. Pourtant, il n'est pas sûr que cette politique soit fructueuse.

Prenons un exemple : les pourparlers engagés depuis 2007 entre l'UE et l'Inde sur la conclusion d'un accord de libre-échange. La signature de l'accord entre le neuvième client de l'UE et le premier fournisseur de l'Inde ne cesse d'être repoussée. Faut-il s'en étonner ? Non, tant les bénéfices d'un tel accord sont confus. Une étude de la Fondation Carnegie note ainsi que l'accord ne relèverait que très faiblement le revenu disponible des deux ensembles commerciaux. Seule l'inclusion d'un large volet services est susceptible de revigorer un projet de traité peau de chagrin.

Si les statistiques sont amères, il faut souligner combien la frénésie actuelle des accords bilatéraux signale le regain de politisation du commerce international. A cela s'ajoute que, dans le cadre d'un accord bilatéral, les Etats pensent pouvoir mieux contrôler la libéralisation des échanges. Rien en apparence de spécifiquement européen, toutes les grandes puissances commerciales font feu de tout bois dans ce domaine.

L'absence de vision européenne est coûteuse. La question posée aujourd'hui est celle de la dynamique interne de la politique commerciale européenne, et donc in fine de la hiérarchie des priorités de l'exécutif communautaire.

Pour être plus crédible dans les négociations commerciales internationales, l'UE doit impérativement poursuivre la libéralisation du marché des services. Comme le soulignait une étude récente de l'OCDE, les marchés de services sont segmentés et les échanges de services entre les Etats membres représentent moins de 5% du PIB. Cette situation contribue à la faible croissance de la productivité dans ce secteur et à l'affaissement de la croissance tendancielle de l'Union dans le contexte de la transformation structurelle des formes de l'activité productive. Et la mise en ?uvre prochaine de la directive services ne répond que très partiellement à la construction d'un marché unique. Certes, la directive offrira davantage de sécurité juridique à l'exercice de deux libertés fondamentales de l'Union (liberté d'établissement et libre prestation de services). Mais de nombreux secteurs d'activité sont exclus de son champ d'application.

Les concessions faites à Doha ou à New Delhi ont d'autant plus de poids qu'elles reposent sur un marché européen des services concurrentiel. Bruxelles mais surtout Paris doivent avoir le courage de reconnaître que les succès de l'Europe au Kennedy Round et lors de l'Uruguay Round étaient intimement liés à des perspectives d'intégration ambitieuses.

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