L'Europe victime d'un tsunami de l'innovation en 2012 ?

Par Dominique Montjean, vice-président de Celerant Consulting, leader des cabinets indépendants de conseil en management opérationnel  |   |  911  mots
Par Dominique Montjean, vice-président de Celerant Consulting, leader des cabinets indépendants de conseil en management opérationnel.

La concurrence industrielle des pays asiatiques émergents risque de connaître un tournant majeur dans les quatre prochaines années. De très nombreux produits développés en Asie (et non pas seulement fabriqués) inondent déjà les marchés européens dans plusieurs secteurs, mais ce phénomène va s'accentuer dans les prochaines années et ainsi représenter une sérieuse menace pour les entreprises françaises et européennes.

Comment les entreprises peuvent réagir face à cette situation qui pourrait devenir particulièrement menaçante pour l'économie européenne ? Est-il déjà trop tard ? Pour pouvoir contrecarrer cette offensive, il convient de se pencher sur ce qui peut faire la réussite des industries européennes, en particulier sur trois leviers majeurs : la réduction des coûts, la vitesse de développement et la différenciation par l'innovation.

Aujourd'hui, les Européens ne peuvent se défendre sur la réduction des coûts, notamment parce que les coûts de production élémentaire sont bien souvent déjà délocalisés en Asie, et la démarche connait ses limites. Les entreprises européennes doivent donc se concentrer sur l'innovation et sur la vitesse de développement pour devenir plus efficace afin de conserver une position dominante sur l'échiquier mondial. Elles doivent véritablement changer d'état d'esprit vis-à-vis de la gestion de l'innovation, pour que celle-ci devienne le fer de lance d'une nouvelle stratégie industrielle. Pour réaliser ce changement quasi-idéologique, plusieurs chantiers doivent être entrepris.

Le premier de ces chantiers est la nécessaire évolution de la vitesse de développements des produits nouveaux. Entre la création de l'idée et le lancement du produit conforme aux attentes des consommateurs, il s'écoule un temps de développement qui est souvent en augmentation, alors que les marchés demandent au contraire une réduction des temps de cycle. Le top management des sociétés, observées par Celerant ces deux dernières années, ressent un certain nombre d'insatisfactions à cet égard : des délais de développement trop longs, un manque de coordination entre les équipes de développement, une complexité mal gérée tant en termes de management multi-sites que d'organisations matricielles, et une tenue des plannings qui est parfois peu crédible. Cette situation perdurant, beaucoup de temps et d'argent sont gaspillés, ce qui est particulièrement risqué dans un environnement concurrentiel global où le "time to market" (ou plutôt le "time to profit") et la compétitivité du prix sont essentiels.

Ensuite, les entreprises européennes doivent prendre en compte les enjeux de l'innovation dans leur pratique managériale. La culture de l'innovation doit devenir la nouvelle culture d'entreprise : les différentes équipes ont besoin d'être sensibilisé à la nécessité d'être en perpétuelle quête d'amélioration, ainsi qu'à l'écoute de leurs fournisseurs, eux aussi pourvoyeurs potentiels d'innovations clés. Il doit y avoir une réelle collaboration entre les différents acteurs, entre les sites R&D, entre les différentes Business Units, etc. car un produit innovant est souvent le résultat d'un vrai travail d'équipe, en abolissant les compétitions internes. Les nouvelles idées se matérialisent ainsi plus vite, génèrent moins de dépenses et sont plus proches des attentes des consommateurs.

Enfin, pour que l'innovation devienne effectivement le moteur d'une nouvelle croissance, il faut permettre à celle-ci de se développer dans des conditions optimales. Pour cela, trois éléments peuvent être mis en avant. Tout d'abord, il conviendra de protéger l'innovation de manière efficiente, en réussissant à ne pas perdre l'expertise, en garantissant un transfert de connaissances sans perte ni fuite. La perte d'expertise est sans doute le point le plus difficile à traiter aujourd'hui, avec les départs massifs de seniors, emportant avec eux une expérience précieuse, qu'il y aurait lieu de partager avec les générations plus jeunes. Ensuite, il faut savoir stimuler l'innovation par des process internes toujours plus efficaces et eux-mêmes novateurs : bourses aux idées, réseaux d'experts, communautés de pratiques, etc.

Mais si l'on veut que chaque collaborateur soit motivé à intégrer cette culture de l'innovation, il faut surtout récompenser de manière juste les carrières orientées vers l'innovation : en effet, un levier important est d'attirer ou de conserver les talents dans ce domaine aux confins des techniques et des marchés. Il faut alors mettre en place de véritables carrières d'experts, avec des rémunérations et des avantages attractifs, et ainsi élever la "capacité à innover" au même niveau que la "capacité à manager".

En conclusion, si les entreprises européennes ne veulent pas être victimes "d'un raz de marée" concurrentiel de la part des pays asiatiques dans les prochaines années, elles doivent placer l'innovation au c?ur de leur culture d'entreprise. Il ne faut pas se concentrer uniquement sur les idées, mais aussi et surtout sur l'environnement opérationnel dans lequel ces idées sont développées et mises sur le marché.

Ce n'est pas d'une simple évolution dont l'industrie européenne a besoin pour retrouver son leadership mondial mais bien d'une "nouvelle révolution industrielle", basée sur la culture de l'innovation, sans quoi elle court le risque d'être irrémédiablement dépassée par les pays asiatiques.