Le rôle de la "Fair Value" dans la crise

Par Philippe Herlin, chercheur en finance.

On parle beaucoup des normes IFRS ("International Financial Reporting Standards") depuis la crise : la comptabilisation à la "juste valeur" ("Fair Value" en anglais) a, tout le monde en convient, amplifié la crise, notamment à partir de la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers le 15 septembre 2008. Les marchés illiquides ou en chute accélérée ont obligé les institutions financières à dévaluer dans de grandes proportions leurs bilans. Résultat la confiance mutuelle s'est envolée et le marché interbancaire s'est brusquement asséché.

Les autorités politiques et les organismes comptables nationaux et internationaux ont réagi immédiatement en suspendant les normes IFRS pour les produits financiers dont le marché est inactif ou "non représentatif " (nombre de transactions très faible) et en permettant alors aux institutions financières de calculer la valeur de ces actifs en interne, par une estimation des flux de trésorerie futurs, du taux d'actualisation, etc. On passe ainsi du "Mark to Market" au "Mark to Model", de l'évaluation par le marché à celle par des modèles. On notera donc que l'on reste dans une logique de l'évaluation de l'entreprise en temps réel, qu'elle soit réelle ou reconstituée par des modèles.

Pourtant la crise perdure et le marché interbancaire reste bloqué. Pourquoi ? Mais il faudrait pourtant bien comprendre que lever l'obligation de la Fair Value et recommander l'évaluation en interne... c'est le meilleur moyen de prolonger la suspension et l'illiquidité des marchés concernés ! Qui voudrait revenir sur ces marchés pour se prendre un bouillon alors que des modèles peaufinés "en interne" permettent de sauver les apparences ? Personne ne semble s'être aperçu de cette conséquence pourtant fort logique.

Faisons un rapide retour en arrière : pourquoi les normes IFRS et la comptabilisation à la juste valeur ont-t-elles été mises en place ? Il s'agissait, suite aux scandales Enron et WorldCom du début des années 2000, d'améliorer la "communication financière" et de restaurer la confiance des épargnants et des investisseurs. Soit. Ces normes auraient-elles empêché le scandale Enron ? Pas sûr, on a même eu pire depuis : Madoff.

En réalité, la comptabilisation à la juste valeur est une mauvaise réponse apportée à une question mal posée. Poussons sa logique jusqu'à l'absurde : si la "Fair Value" est appliquée à la lettre et à la seconde... le marché disparaît ! Nul besoin qu'un marché existe si les entreprises communiquent en temps réel leur vraie valeur !

La notion de "Fair Value" découle en fait directement de l'idée qu'il existe, pour chaque entreprise, une "valeur fondamentale" ou intrinsèque, une valeur stable et connaissable que celle-ci, avec ces normes, devrait révéler. C'est un mythe, nous l'avons déjà dit (1), dans le champ de l'économie toutes les données sont variables et c'est justement le rôle du marché de les évaluer au mieux.

C'est l'idée même d'obliger les entreprises à construire leur comptabilité suivant la méthode de la juste valeur qui constitue une erreur majeure. Le comptable doit s'occuper de la comptabilité (la gestion actif/passif adaptée au "temps" de l'entreprise), l'analyste financier et le trader se consacrant à l'évaluation en temps réel. Chacun sa fonction, chacun son job, et tout ira mieux.

(1) "Théorie des marchés financiers : revenir aux concepts fondamentaux", Club Finance HEC, octobre 2008


 

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ceux qui veulent mon étude "Théorie des marchés financiers : revenir aux concepts fondamentaux" parue au Club HEC Finance peuvent me la demander. Plus d'infos ici : http://www.philippeherlin.com/

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Mouais bof !

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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enfin un texte clair et profond merci monsieur

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