Crise du gaz, prémices d'un nouvel ordre mondial ?

Le conflit gazier entre la Russie et l'Ukraine et ses conséquences pour l'approvisionnement des Etats européens ont montré la nécessité pour l'Union européenne de diversifier ses fournisseurs. Ses membres doivent donc développer en priorité une politique à la fois cohérente et unifiée. Une unité que les Etats-Unis et la Russie testent pour éviter une montée en puissance de l'Europe, estime Richard Yilmaz, membre de l'Observatoire géopolitique des espaces nationaux et internationaux (université Paris IV-Sorbonne).

La crise entre l'Ukraine et la Russie quant aux livraisons de gaz a mis en évidence non seulement les dangers que représente la prédominance d'un fournisseur dans ce secteur hautement stratégique, mais aussi les risques que fait peser la concentration de gazoducs dans un pays. Cette situation rappelle à l'Europe l'urgence de multiplier ses fournisseurs en gaz.

Quelque 7% de la consommation gazière de l'Union européenne (UE) sont satisfaits par une production endogène, le reste est pourvu par l'importation. Environ 30% du gaz importé est fourni par le géant russe Gazprom. Cette prépondérance devrait atteindre 40% à l'horizon 2030. Dans la mesure où la Russie utilise le levier gazier comme moyen de coercition politique, l'UE doit impérativement diversifier ses sources d'approvisionnement. Les recours alternatifs à l'hégémonie russe, facilement accessibles à l'UE, sont le Moyen-Orient et l'Asie centrale.

Dans ce contexte, le projet de gazoduc Nabucco a pour objectif d'acheminer le gaz de la région caspienne vers l'UE. Or, ce conduit ne sera rentable que si d'autres régions que la Caspienne l'emploient pour évacuer leurs hydrocarbures. Le gaz irakien pourra utiliser Nabucco. Toutefois, ce gazoduc serait particulièrement rentable avec le transport de la production iranienne. Rappelons que l'Iran détient les secondes réserves mondiales de méthane. Nabucco pourrait également véhiculer les gaz turkmène et kazakhe sans oublier ceux d'Egypte et du golfe Persique.

De fait, si l'UE veut une relative indépendance énergétique, de nouveaux challenges géopolitiques se présentent. D'abord, la gestion des crises géorgienne et ukrainienne pointe la nécessité primordiale pour l'UE de développer une cohésion plus soutenue dans les domaines de la politique étrangère et de l'énergie. Ensuite, les voies de transit alternatives à la Russie font un n?ud en Turquie. Afin de limiter les périls que présenterait ce monopole de passage, l'Europe doit arrimer davantage ce pays.

Par ailleurs, l'UE doit s'impliquer encore plus dans la question du nucléaire iranien et favoriser une solution qui satisfasse les différents partis, de façon à ce que le gaz iranien puisse fuser vers l'Europe. Enfin, elle doit favoriser l'émancipation des anciennes républiques d'Asie centrale, tels que le Turkménistan et le Kazakhstan, de la tutelle russe, notamment en encourageant la mise en place du gazoduc transcaspien qui compléterait le tracé de Nabucco.

Ces défis ne seront pas aisés à relever. Les Etats-Unis et la Russie éprouvent d'ores et déjà la mutualisation des politiques énergétiques et étrangères de l'UE. Certains pays de l'UE favorisent ce travail de sape.

Plutôt qu'une politique multilatérale avec une UE prise comme ensemble géopolitique distinct, Washington préfère développer une diplomatie bilatérale avec les capitales européennes, encourageant ainsi la fissure d'une unité en gestation. Huit pays de l'UE ont soutenu l'intervention américaine en Irak alors que la France et l'Allemagne s'opposèrent à la guerre. Cette politique américaine du "divide and rule" devrait se poursuivre afin d'éviter l'émergence d'une Europe puissante qui pourrait concurrencer l'hégémonie américaine, notamment en ce qui concerne les approvisionnements énergétiques indispensables à l'économie.

L'Amérique tentera également de verrouiller l'accès aux réserves, soit en établissant des accords bilatéraux avec les producteurs, soit en les isolant. L'embargo institué par Washington contre Téhéran a pour objectif de préserver les hydrocarbures pour l'usage des États-Unis, en attendant de bonnes relations avec l'Iran. Alors que l'Europe suit l'Amérique, les Chinois et les Russes s'octroient des parts de marché considérables à Téhéran.

La Russie joue aussi sur le registre de la division. En effet, les contrats gaziers avec Gazprom ne se font qu'avec des sociétés nationales. Ainsi, GDF a signé un contrat d'approvisionnement jusqu'en 2030, l'allemand E.ON jusqu'en 2036, l'italien ENI jusqu'en 2035 et l'autrichien OMV jusqu'en 2026. La Russie craint la concorde européenne. Sur le plan stratégique, elle diminuerait son influence, y compris sur ses anciens vassaux, et la présence d'un voisin puissant serait ressentie comme une menace. Du point de vue économique, elle réduirait les profits du négoce gazier.

En effet, la Russie importe à un faible coût le gaz d'Asie centrale pour sa consommation et vend sa production cinq fois plus chère à l'UE. Le quart du PIB russe provient de la vente d'hydrocarbures à l'UE. La dépendance de l'Union vis-à-vis de la Russie est disparate. Les États qui, à l'Ouest, reçoivent du combustible en provenance d'autres pays sont moins tributaires que ceux à l'Est. Un moyen rapide de contrer le diktat russe serait de développer les interconnexions des réseaux gaziers des différents pays de l'UE, à l'instar des réseaux d'électricité.

De cette façon, il serait aisé de pallier l'arrêt du fonctionnement d'un gazoduc, pour quelque raison que ce soit, et la multiplication des fournisseurs révélerait alors toute son efficacité. C'est sans doute pour cela que la Russie cherche à nouer des partenariats stratégiques avec la Turquie et tente de préserver son influence dans l'ancien fief de l'Union soviétique, y compris par la violence.

Une guerre d'influence féroce pour le contrôle du commerce international des hydrocarbures fait rage. La solidarité des pays membres conjuguée à une attitude responsable en matière d'approvisionnement et de consommation d'énergie devraient permettre à l'UE d'imposer ses points de vue à l'aune de ses intérêts. Assisterait-on alors au passage d'un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis à un monde multipolaire source d'équité et de stabilité??

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Commentaires 10
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bon article,pour qui souhaite étudier la neccessité de multipolarisation du monde, lisez Samir AMIN !

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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N'en déplaise aux médias français russophobes mais il est incontournable que la Russie est redevenue un acteur majeur sur la scène mondiale voir la crise géorgienne, Le rôle éventuel de Severstal contre Mittal que nous avons laissé acheter Arcelor, f...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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LE gaz, ENERGIE A EVITER - L'ESSENTIEL DES PRODUCTEURS SONT INSTABLES, IMPREVISIBLES - LAISSONS CETTE ENERGIE GAZ EXPLOSER TOT OU TARD CHEZ LES AUTRES...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Voilà un membre de Observatoire géopolitique des espaces nationaux et internationaux et surtout du Centre de recherche sur le Moyen-Orient et la Méditerranée qui affirme que le salut de la C.E passe par " Les recours alternatifs à l'hégémonie russe, ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'Ukraine doit payer le prix du marché...La Russie achète à faible cout...vend sa production 5 fois plus chère à l'UE...un truc m'échappe...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'Ukraine doit payer le prix du marché...La Russie achète à faible cout...vend sa production 5 fois plus chère à l'UE...un truc m'échappe...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Excellent article qui résume bien la situation, sans parti pris. Un chapitre supplémentaire sur le gaz d'outre mer et d'afrique auait été un plu. Je ne partage pas le point de vue de Nenuphar, le gaz algérien ne suffirait pas à toute l'Europe et on a...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Très bon article. Merci

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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j'adooooore vos cours de biochimie =DD

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Moi vos cours de géopolitiques

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