En matière de fraude, mieux vaut prévenir que guérir

La société d'intelligence économique estime qu'une "due diligence" scrupuleuse, suivie par des recoupements de témoignages, aurait permis à nombre d'investisseurs d'éviter l'escroquerie Madoff. Et qu'aujourd'hui certains fonds pourraient être sauvés pour autant qu'une autorité judiciaire ordonne le gel et la saisie des actifs retrouvés. Par Béchir Mana, directeur général de Kroll Europe, Moyen-Orient, Afrique.

La crise économique a révélé un certain nombre de fraudes. La plus médiatisée dernièrement est celle de Bernard Madoff qui, utilisant une version contemporaine du "jeu de Ponzi", a fait perdre quelque 50 milliards de dollars à ses investisseurs.

Deux questions se posent alors : cette fraude aurait-elle pu être détectée préalablement ? L'argent "disparu" peut-il être récupéré ? La réponse à la première question est indiscutablement "oui" grâce à la mise en ?uvre, en amont, de processus de recherche d'informations, et à la conduite, a posteriori, de recherches d'actifs permettant de recouvrer certaines créances.

Le terme de "due diligence" désigne l'ensemble des vérifications à effectuer avant d'entrer dans une relation d'affaires, notamment à l'occasion d'investissements impliquant des personnes physiques ou morales tierces. Le niveau de détail et la durée de ces opérations de recherche et de vérification sont déterminés par la complexité du "sujet" étudié, sa localisation et les juridictions concernées, ainsi que par le montant des sommes engagées.

Priorité doit être donnée à la recherche et à l'analyse d'informations publiques. Souvent considérable, la masse d'informations disponibles nécessite expertises et compétences en matière de traitement et d'analyse de l'information. Les archives analysées permettent de connaître les activités, intérêts et réseaux d'une personne physique, d'une entreprise ou d'un fonds. Parallèlement, les bases de données disponibles et celles spécialisées dans le recensement des auteurs d'actes de criminalité économique donnent la possibilité de passer au crible le management de l'entreprise ou du fonds considéré, sur la base d'informations issues de juridictions nationales, d'organismes et autres groupements multilatéraux.

Néanmoins, les informations ainsi collectées, comme les autres renseignements comptables et financiers, ont leurs limites car ils ne témoignent pas de la réalité de la situation présente. De plus, la fiabilité de certaines sources d'information, tels que les forums de discussion, est parfois douteuse ou polémique. Les informations obtenues sont, par ailleurs, susceptibles d'être faussées par des collusions et conflits d'intérêts, ce qui semble avoir été le cas pour les agences de notation impliquées dans l'affaire Madoff.

Aussi est-il important, dans un deuxième temps, de consolider l'information publique obtenue par le recoupement de témoignages recueillis auprès d'interlocuteurs ciblés. Explorant les zones d'ombre, ce travail vient renforcer, ou nuancer, la première vision obtenue. Des informations non formulées dans les sources communément accessibles peuvent alors être reconstituées. S'agissant du cas Madoff, Jon Najarian, l'un de ses proches, a déclaré que "beaucoup se posaient des questions quant à ce qui assurait des retours sur investissement aussi importants et réguliers". Cette déclaration constituait déjà un signal d'alarme. De même, la réticence de monsieur Madoff à publier les rapports financiers de son fonds aurait dû alerter investisseurs et institutions financières. Un travail d'investigation aurait sans doute permis de révéler les signes avant-coureurs de l'escroquerie.

Malgré l'existence de ce type de précaution, cette fraude n'a pas été évitée. Pourquoi ? D'une part, monsieur Madoff bénéficiait d'un solide capital de confiance. D'autre part, la volonté d'optimisation financière, caractéristique des investisseurs, les a conduits à minorer, voire à ignorer, les signes annonciateurs de cette dérive.

Aujourd'hui, la fraude étant constatée, peut-on retrouver cet argent ? Une partie des fonds est souvent difficile à retrouver, évaporée sur les marchés financiers, investie de façon hasardeuse, ou soustraite par ceux en charge de son placement.

À l'inverse, une autre partie de ces fonds peut être plus aisément retracée. Il s'agit des sommes investies dans des activités spéculatives, de celles distribuées aux gestionnaires des fonds auteurs de la fraude (bonus, avantages divers, etc.), ou encore de celles transférées au sein d'autres structures via des mécanismes complexes destinés à tromper d'éventuels auditeurs (juridictions "offshore", etc.).

Transformés en biens, ou demeurés à l'état de liquidités sur un compte bancaire, ces actifs laissent des traces permettant à l'investigation de suivre leur cheminement. Leur identification relève d'un processus de recherche d'actifs, lesquels sont le plus souvent devenus la propriété de personnes physiques. L'accès aux données de ces personnes variant considérablement selon les juridictions, une recherche d'actifs est moins longue et moins coûteuse aux États-Unis que dans une juridiction exotique, ou dans un paradis fiscal.

Mais, rappelons-le, cet exercice est à finalité exclusivement judiciaire et seule une autorité judiciaire peut ordonner le gel et la saisie des actifs retrouvés. Cette recherche doit donc être décidée en fonction de la capacité juridique à obtenir une saisie et du montant des sommes à recouvrer : plus ces sommes sont importantes, plus le retour sur investissement est conséquent.

Ainsi, si certains considèrent la "due diligence" comme une démarche non stratégique, relevant d'avantage du formel que du vital, l'affaire Madoff témoigne du contraire. En effet, un travail de recherche, de validation et d'analyse des informations publiques, complété par des entretiens ciblés, aurait sans doute permis de révéler cette fraude bien avant qu'elle ne connaisse une telle ampleur.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.