Obama pourra-t-il empêcher la fin de l'"Amérique-monde" ?

L'accession de Barack Obama à la présidence va-t-elle entraîner un changement de cap dans la politique internationale des Etats-Unis ? La crise économique que traverse le monde, en particulier les Etats-Unis, pourrait marquer une perte d'influence de la politique d'unilatéralité menée par Washington au profit d'un monde davantage multipolaire, favorisé par l'axe Moscou-Pékin, estime Aymeric Chauprade, professeur au Collège interarmées de défense.

Un siècle après la sortie de l'isolationnisme, soixante ans après le début de la seconde guerre mondiale, l'Amérique a écarté les deux tentatives d'unification eurasiatiaque (allemande et russe) qui menaçaient sa suprématie. L'Europe est aujourd'hui sous influence américaine et les frontières de l'Otan taquinent la Russie (Ukraine, Géorgie). En apparence, l'Amérique semble marcher vers son rêve géopolitique : la construction d'un bloc euro-atlantique placé sous son autorité et moteur de la transformation des autres mondes.

Pourtant, les nuages s'épaississent à l'horizon pour Washington. L'ascension économique de la Chine, même ralentie par les effets de la crise américaine, n'en continue pas moins d'annoncer un grand bouleversement dans l'ordre des puissances. Voilà d'ailleurs pourquoi, depuis la fin de l'URSS, l'Amérique n'a eu de cesse de gêner la Chine : encerclement par l'ouest (l'Otan est en Afghanistan), mais aussi par le sud grâce au rapprochement avec l'Inde ; affaiblissement de la dissuasion nucléaire de Pékin par le développement du bouclier antimissiles ; soutien aux séparatismes de l'empire chinois (Turkestan chinois et Tibet) ; contrôle de la forte dépendance énergétique de l'empire du Milieu grâce à l'Arabie saoudite et à l'Irak (et demain d'un Iran redevenu proaméricain comme au temps du shah ?). Cette grande géopolitique, mise à l'?uvre depuis 1990, a pourtant échoué, non pas tant du fait de la Chine que de celui de la Russie poutinienne.

Ensemble, Chinois et Russes ont la capacité d'encourager des coalitions antiaméricaines et d'offrir une protection aux Coréens du Nord, aux Iraniens, aux Vénézuéliens... Entre 1990 et 2003, l'Amérique a pu, sans s'embarrasser du droit international, écraser petits et moyens (Serbie, Afghanistan, Irak) dressés sur sa route. Mais l'invasion de l'Irak en 2003 a été le dernier acte de toute-puissance. Moscou et Pékin ne laisseront plus faire. La correction infligée à la Géorgie proaméricaine à l'été 2008 est le coup d'arrêt. Le projet d'"Amérique-monde" fait bel et bien face au retour des civilisations. La tendance n'est plus à l'unipolarité comme durant les années 1990 mais à la multipolarité.

C'est l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en mai 2000 qui a été le retournement de l'histoire le plus considérable depuis l'effondrement soviétique. Plus important encore que les attentats du 11 septembre 2001, événement qui, inséré dans la longue durée américaine, apparaît comme une simple phase (et un prétexte...) d'accélération d'une expansion mondiale engagée en 1898.

Si la Russie était devenue l'alliée des Etats-Unis et qu'un bloc euro-russo-atlantique s'était formé (en 1989, George Bush père appelait de ses v?ux la formation d'un bloc transatlantique étendu de Vancouver à Vladivostok), alors l'avenir géopolitique de la Chine eût été fortement compromis. Ce bloc aurait contrôlé non seulement les richesses énergétiques du Moyen-Orient (les deux tiers des réserves de pétrole), mais aussi la Russie, seule véritable source alternative à l'islam pétrolier et première réserve de gaz du monde.

La multipolarité énergétique est une réalité : la Russie, l'Iran, le Venezuela se rapprochent et font contrepoids au pétrole américain contrôlé par Washington. Elle annonce de plus la mise en place de la multipolarité monétaire. Car le dollar, depuis la fin du lien dollar-or, tient essentiellement son statut privilégié du pétrodollar. Or la tendance à payer le pétrole en d'autres devises s'accélère.

Il est admis généralement que la crise financière mondiale est avant tout une crise du capitalisme américain dont les effets sont mondiaux. Mais, au-delà, la crise américaine ne serait-elle pas structurelle tandis que les effets sur les mondes émergents ne seraient eux que conjoncturels ? Autrement dit, la crise américaine ne masquerait-elle pas une perte réelle et durable de statut dans l'ordre des puissances ?

Que va donc faire l'Amérique de Barack Obama ? Se résigner à rompre avec sa "Destinée manifeste" ? Rien n'est moins sûr, car, comme l'écrivait déjà Herman Melville au XIXe siècle, parce que "le sang du monde coule dans les veines des Américains qui ne sont pas d'une étroite tribu", la nouvelle Alexandrie est le "résumé du monde". Obama le métis n'est-il pas d'ailleurs le véritable premier président "résumé du monde" ? En réalité, son discours annonce davantage un changement de chemin stratégique qu'un changement d'objectif idéologique. Obama ne veut plus de l'unilatéralisme et de la doctrine préemptive soit, mais il veut toujours, et plus que jamais, l'Amérique-monde.

Mais alors, si l'Amérique ne rompt pas avec le programme des Pères fondateurs, que peut-elle faire pour endiguer ses déclins économique et géopolitique ? Le problème est plus simple qu'il n'y paraît : l'unipolarité ne semble plus possible à court terme, et la multipolarité signifie quant à elle la mort de l'"Amérique-monde" ; Washington voudra donc revenir à la bipolarité, comme durant la guerre froide.

En 1945, l'Amérique voulait un nouvel ordre mondial, mais il y avait l'URSS. Il fallut se résigner à la bipolarité. Comment atteindre celle-ci, c'est-à-dire comment couper la Russie des Européens et comment coaliser un peu plus Moscou et Pékin ? Une partie de la réponse à cette question se trouve peut-être dans les choix que Barack Obama fera bientôt sur l'Iran et l'Ukraine.

 

Aymeric Chauprade vient de publier "Chronique du choc des civilisations" (Editions Chronique).

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Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Très intéressants les paragraphes sur le 11 septembre. N'est-il pas?

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Se rendre indépendant du pétrole aurait du être le mot d'ordre de la France depuis des décenies. Elle avait les moyens de lancer la voiture électrique. Elle ne l'a pas fait car dirigé aussi bien par des hommes politiques irresponsables que par des di...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Pouvre moncieur Chauprade! Qui etait viré aujourd'hui, apres ca livre de 11 septembre (et apres peut etre cette article?) La livre c'est: "Chronique du choc des civilisations", Editions Chronique, janvier 2009 La liberte de presse, la liberte des o...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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@ FL la voiture électrique est un écran de fumée qui ne résout rien tant que le problème de la production (polluante) d'énergie électrique en amont n'est pas résolue. Et le nucléaire n'est pas une solution non plus.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C'est interessant d'aborder la problématique du sang qui coule dans les veines d'Obama ! N'oublion pas que "l'unificateur" ou le prétendu "résumé du monde" ne résume même pas l'amérique, gardons la tête froide...Lui le métisse au visage "christique",...

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