Grenelle de l'environnement et nucléaire sont complémentaires

Par Francis Sorin, directeur du pôle information de la Société française d'énergie nucléaire (www.sfen.org)  |   |  899  mots
Dans un point de vue publié dans notre édition du 27 janvier, Corinne Lepage, ancien ministre et vice-présidente du Modem, considérait que la relance du nucléaire en France, via la construction d'EPR, signait la mort du Grenelle de l'environnement. Pour Francis Sorin (Sfen), au contraire, cette énergie représente la première solution pour lutter contre le réchauffement climatique.

Le Grenelle de l'environnement vit-il ses derniers instants avant même d'avoir produit ses premiers effets ? C'est ce qu'affirme Corinne Lepage dans un "Point de vue" aux allures de réquisitoire récemment publié dans ces colonnes. Le coupable est bien sûr le nucléaire, cible obsessionnelle du mouvement écologiste français. Pour l'ancienne ministre de l'Environnement, la réalisation annoncée de deux réacteurs EPR à Flamanville et à Penly, "puis d'un troisième", signerait l'échec des politiques d'efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables répondant aux objectifs du "Grenelle" et à ceux de l'Union européenne.

Transformant la France en "poubelle", ce "retour au tout-nucléaire" mettrait en péril nos filières agricoles, tuerait dans l'?uf le développement des énergies éolienne et solaire et "condamnerait à mort les éco-industries du XXIème siècle" ! Et tout cela pour deux ou trois réacteurs de plus ! Non, décidément le coupable est un peu trop "beau" pour être vrai et l'argumentation de la procureur un peu trop caricaturale pour être convaincante.

Il nous paraît particulièrement mal fondé de prétendre que le nucléaire "tourne le dos" au "Grenelle" et à la politique européenne alors qu'il va très précisément au devant de leur objectif essentiel : la lutte contre le réchauffement climatique. C'est cet objectif de base qui commande tous les autres, la finalité première de l'efficacité énergétique et du développement des énergies renouvelables étant de diminuer les rejets de CO2 responsables de ce réchauffement. Avec 8 à 10 millions de tonnes de CO2 évitées chaque année, les EPR français seront les unités de production d'électricité les plus efficaces de toute l'Union européenne dans la lutte contre l'effet de serre.

Rappelons que si le nucléaire a fait de la France le pays industrialisé le moins pollueur en CO2 (avec la Suède), il évite à l'Europe des émissions annuelles de l'ordre de 700 millions de tonnes (pour un total de rejet de 4 milliards de tonnes), soit le double de l'objectif du protocole de Kyoto et l'équivalent des rejets de l'ensemble du parc automobile de l'Union ! Alors que celle-ci va devoir renouveler dans les quinze ans à venir la moitié de son parc électrique, devenu obsolète, et que la majorité des installations nouvelles seront malheureusement des centrales à gaz ou à charbon, la mise en service de deux ou trois nouveaux EPR constituera une précieuse compensation pour tendre vers le grand objectif environnemental de l'UE... et du "Grenelle" : diminuer d'au moins 20% les rejets annuels de CO2 à l'horizon 2020.

Ces EPR, s'effraie Corinne Lepage, vont "augmenter l'offre d'électricité". Ils y contribueront effectivement, et il n'y a là rien que de très normal, pour répondre à une hausse de la demande que l'on prévoit modérée mais réelle durant la prochaine décennie. Cette contribution indispensable restera cependant minoritaire, en termes de capacités installées, par rapport à l'important programme de développement des éoliennes et des installations solaires décidé par les pouvoirs publics (près de 20.000 mégawatts construits à l'échéance 2020), complété par la réalisation ou la réactivation d'unités à combustibles fossiles.

Mais, au-delà de cette conjoncture, la justification fondamentale des nouveaux EPR est de pallier les prochaines mises hors service de nos plus anciens réacteurs. Entre 2017, date d'entrée en service de l'EPR de Penly, et 2020, ce sont 21 réacteurs ? soit le tiers de notre parc nucléaire ! ? qui pourraient être définitivement stoppés car ayant atteint leur limite d'âge théorique de 40 ans. Les énergies renouvelables, même à leur "meilleur", ne pourront compenser qu'une part minime de ce déficit. Les EPR en construction ou en projet sont donc pleinement justifiés. Et tout appelle à programmer prochainement la réalisation de deux ou trois unités supplémentaires pour ne pas se retrouver en sous-capacité de production électrique dans les années 2020... et être obligé d'acheter à l'étranger, au prix fort, des kilowattheures que nous sommes aujourd'hui en mesure d'exporter à des conditions très avantageuses durant certaines périodes de l'année.

Loin de transformer le pays en "poubelle", ces quelques EPR de plus maintiendront le bon équilibre stratégique, économique, environnemental d'un système de production d'électricité qui constitue pour la France, en cette période de turbulence énergétique mondiale, un formidable atout. Cette orientation n'est nullement en contradiction avec la politique d'efficacité énergétique prônée par le "Grenelle" et ne s'oppose en rien au développement des énergies renouvelables qui se voient par ailleurs consentir, sur un plan économique, des aides extraordinairement favorables.

Plutôt que de considérer les "renouvelables" et le nucléaire comme d'irréductibles adversaires ayant vocation à s'exclure, il est temps, balayant cette vision dogmatique, de réaliser que c'est leur addition dans une complémentarité intelligente qui peut offrir les solutions les plus efficaces au défi énergétique, en France et ailleurs. C'est ce qu'ont compris la plupart des décideurs politiques qui aident d'un même mouvement au décollage des renouvelables et à la "renaissance" du nucléaire dans les pays qui en réunissent les conditions. C'est ce que pourraient comprendre aussi les écologistes de bonne volonté au lieu de regarder les problèmes énergétiques d'aujourd'hui et de demain avec les yeux d'avant-hier.