Paradis fiscaux, il est temps de changer de modèle

Par latribune.fr  |   |  962  mots
A la lumière de la crise financière mondiale, les gouvernements des principales économies ont pris conscience de la nécessité de ne plus tolérer l'existence des paradis fiscaux. Ces zones de non-droit favorisent l'évasion fiscale, un vol amputant d'autant les budgets des Etats. Déjà, nombre d'appels ont été lancés et des initiatives sont à l'étude en vue du sommet du G20, prévu le 2 avril à Londres, rappelle Eric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique.

L?appel lancé à Berlin le 22 février 2009 par les dirigeants des six principales économies européennes, lors de la réunion préparatoire au sommet des vingt nations les plus riches du monde prévu le 2 avril prochain à Londres, en est une nouvelle illustration?: les paradis fiscaux sont désormais au centre des préoccupations de la communauté internationale.

Depuis le séisme de la crise financière internationale, les opinions publiques, les marchés, les Etats ont pris conscience qu?on ne pouvait tolérer l?existence de zones de non-droit, de territoires où des opérations opaques pouvaient menacer la sécurité du système financier tout entier. A l?heure où le monde traverse une crise économique historique, personne ne peut non plus tolérer que des Etats puissent empêcher leurs voisins d?exercer leur souveraineté, d?appliquer leurs lois, de défendre leur modèle social. Car c?est aussi de cela qu?il s?agit.

Les territoires qui contribuent à la confusion du système financier mondial, qui brouillent les cartes et annihilent tout effort de régulation, ces territoires-là attirent aussi les fraudeurs, qui profitent du secret bancaire et d?une fiscalité prédatrice pour échapper à la loi de leur pays. Ces recettes fiscales, ces Etats nous les volent. C?est un scandale qui choque encore davantage les consciences, à l?heure où les besoins sociaux sont forts et où les filets de protection que les Etats mettent en place au bénéfice des plus fragiles nécessitent d?importantes ressources financières.

La détermination de la communauté internationale n?est certes pas nouvelle. Depuis février 2008, les opinions publiques des principaux pays développés ont été sensibilisées par le scandale du Liechtenstein. Fait sans précédent, les administrations fiscales allemandes, britanniques, australiennes, américaines, françaises - entre autres?! - ont été amenées à coopérer dans l?affaire de la banque LGT. Fait sans précédent, les opinions publiques du monde entier ont ressenti ensemble la même indignation.

Mon collègue allemand et moi en avons tiré les conséquences en invitant, pour la première fois à un niveau politique, vingt Etats de l?OCDE à Paris, le 21 octobre dernier. Nous avons demandé à l?OCDE de mettre à jour la liste des paradis fiscaux qui, sur la base des seules déclarations d?intention des Etats, se limite aujourd?hui à trois noms. Pour sortir de cette farce, l?OCDE passe actuellement au crible les pratiques réelles de plus de 80 Etats et territoires. Nous nous reverrons en juin, en Allemagne cette fois, et sûrement plus nombreux, pour examiner une nouvelle liste et décider d?appliquer ensemble, dans une démarche internationale et concertée, des mesures de rétorsion aux Etats qui y figureront.

Le gouvernement français n?a pas non plus attendu pour agir en renforçant, dès la fin de l?année 2008, son arsenal de droit interne. Christine Lagarde porte ces sujets avec détermination dans les instances communautaires. Surtout, nous savons pouvoir compter sur le soutien du parlement dans ce dossier et nous lui proposerons prochainement des mesures fiscales sanctionnant le recours à des pays à fiscalité privilégiée et à opacité financière pour la circulation des flux financiers ou la délocalisation des revenus ou des patrimoines.

Je vais aussi me rendre en Irlande très prochainement pour m?entretenir avec mon homologue et l?administration fiscale irlandaise des conditions dans lesquelles ils ont obtenu la liste des comptes "offshore" détenus par les Irlandais. Pourquoi ne pas envisager une telle opération en France?? Nous attendons des établissements bancaires français une attitude exemplaire?: nous devons renforcer la transparence des établissements financiers et appeler les institutions financières internationales à plus d?exemplarité.

Nul n?ignore le rôle déterminant qu?a joué le président de la république dans la déclaration finale de Berlin. La parole répétée, déterminée et dépourvue d?ambiguïté de la France, exprimée au plus haut niveau de l?Etat, est un élément moteur dans le jeu diplomatique international. Mais la France et l?Allemagne ne sont pas seules. La Commission européenne, avec ses projets de réforme de la directive épargne ou de directive sur l?assistance administrative, a choisi un chemin ambitieux. Les chefs d?Etat européens présents dimanche se sont prononcés explicitement sur le sujet et ont donné un mandat ambitieux aux ministres des Finances qui vont bientôt préparer le G20. Le président des Etats-Unis avait fait de la lutte contre les paradis fiscaux un thème de campagne.

Car les choses commencent à bouger. Déjà, une grande banque suisse accepte de lever le secret bancaire. Les déclarations publiques des responsables suisses, luxembourgeois, belges témoignent que les esprits évoluent sur ce sujet. Nous ne saurions progresser en braquant des partenaires aussi importants pour nous, parfois membres fondateurs de l?Union européenne. Mais la France se doit d?agir avec résolution. Nous ne demandons pas à ces Etats de renoncer à une fiscalité faible?: la concurrence fiscale est l?expression même de la souveraineté. Elle est saine, car elle nous pousse tous à fournir des services publics au meilleur coût.

Mais la France doit pouvoir appliquer sa loi à ses résidents. Et nos concitoyens et les entreprises seront libres d?apprécier les contreparties que leur apporte le site "France" et de le comparer à ce que leur proposent l?Allemagne, les Etats-Unis, la Chine? Les paradis fiscaux n?apportent rien?: ils agissent comme des trous noirs faisant disparaître les recettes publiques. Pour ces paradis artificiels, la page est en train de se tourner?!