Le grand chambardement du paysage automobile européen

Par Alain-Gabriel Verdevoye, journaliste à La Tribune  |   |  849  mots
Par Alain-Gabriel Verdevoye, journaliste à La Tribune.

La crise ? Certes. Mais, à force d'en parler, on en oublierait l'extraordinaire croissance que le marché automobile a connue en vingt ans. Il s'est vendu 69 millions de voitures neuves dans le monde l'an dernier. Soit... 21 millions de plus qu'en 1988, 16 millions de plus qu'en 1998. Cette formidable progression apparaît d'autant plus remarquable que les marchés d'Europe occidentale, des Etats-Unis et du Japon sont demeurés quasi stables. En revanche, les ventes ont doublé en Europe de l'Est (Russie comprise) depuis 1998 et été multipliées par 2,5 en Asie (hors Japon), grâce à la Chine et à l'Inde.

Mais, aujourd'hui, l'expansion est stoppée net. Le consultant Roland Berger prévoit qu'en 2010 le marché ouest-européen reviendra à son niveau de 1993, année noire, et un effondrement des États-Unis au niveau des années 1980, après le deuxième choc pétrolier. Toutefois, il ne faut pas dramatiser. Sur le moyen terme, les pays largement sous-motorisés comme la Chine, l'Inde, la Russie, devraient tirer de nouveau les ventes.

En vingt ans, le paysage automobile a fondamentalement changé. Des constructeurs qui dominaient le monde, comme les Américains GM, Ford et dans une moindre mesure Chrysler, sont en danger. Entre 1994 et 2008, les ventes de véhicules neufs des "Big Three" de Detroit ont d'ailleurs décru de 0,9% par an en moyenne, d'après le cabinet Roland Berger. Dans le même temps, les Français ont crû annuellement de 3,2%, les autres Européens de 3,8%.

Renault a acquis une dimension mondiale avec la prise de contrôle du japonais Nissan il y a dix ans et aussi les reprises du coréen Samsung Motors et du roumain Dacia. Volkswagen a pour sa part conforté sa place de premier constructeur européen. Son capital s'est solidifié depuis que Porsche est devenu son actionnaire de référence.

En revanche, de grandes alliances se sont dénouées. BMW a cédé le britannique MG Rover, qui a fait finalement faillite, Daimler a revendu Chrysler à la suite d'une "fusion du siècle" catastrophique. Du coup, l'américain accueille désormais dans son capital l'italien Fiat, lequel a divorcé de GM après un bref mariage. Les grands gagnants de la période sont incontestablement les Japonais et les Coréens. Leurs ventes cumulées se sont envolées de 4,8% par an. Toyota est devenu le premier constructeur mondial. Mais la palme de la croissance revient aux constructeurs chinois et indiens, même s'ils sont encore relativement petits : leurs volumes ont crû de 29% par an en moyenne.

Le paysage automobile mondial risque d'ailleurs de muer encore dans les années qui viennent. Des Chinois manifestent leur intérêt pour les suédois Volvo, mis en vente par Ford, et Saab, dont GM veut se débarrasser. General Motors doit aussi se retirer, au moins partiellement, de sa filiale allemande Opel, dont l'avenir devient problématique.

La course au gigantisme n'a pas forcément payé, comme le prouve la situation dramatique de GM. Daimler se porte quant à lui beaucoup mieux depuis qu'il s'est recentré sur sa marque Mercedes. Et le "petit" BMW affichait jusqu'à la crise une belle rentabilité.

En vingt ans, si les acteurs ont évolué, parfois changé, la voiture elle-même a fortement progressé. En matière de pollution, tous les véhicules neufs respectent depuis 2006 la norme Euro 4, en attendant Euro 5. Ces normes, périodiquement renforcées, ont pour effet de diviser par deux les émissions polluantes des véhicules tous les cinq ans, selon le CCFA (Comité des constructeurs français d'automobiles). Plus propres, les véhicules sont aussi plus sûrs et plus équipés.

Toutefois, ce suréquipement, qui parfois dégrade la fiabilité et renchérit le coût d'utilisation, n'a pas entraîné de baisse des prix. Une Volkswagen Golf coûtait, en 1974, l'équivalent de 5.262 euros. En prix déflaté, une Golf de 2009 en vaut près de 8.000. L'automobile n'a pas suivi la pente d'autres biens de consommation.

Victime de son succès, qui la rend envahissante, l'automobile est aujourd'hui vilipendée, accusée de tous les maux dans les pays développés, principalement dans l'Hexagone, où elle est devenue politiquement incorrecte. Même si la crise a fait redécouvrir aux hommes politiques et aux pouvoirs publics que le secteur faisait vivre au sens large 10% de la population active occupée. Pour se défendre face à ses détracteurs, l'automobile continuera d'évoluer. Elle sera encore plus sûre, moins polluante, mais sans doute de plus en contraignante, voire ennuyeuse, dans son utilisation.

Le public attend - surtout dans ses fantasmes - une vraie rupture technologique. Aussi, les espoirs se tournent vers la voiture électrique "zéro émission". Mais sa popularisation n'est pas pour tout de suite, à cause de ses coûts, de sa faible autonomie, du poids des batteries. De plus, elle n'est pas si propre que cela. Car l'électricité, il faut la produire. Or, nombre de pays utilisent encore des centrales à charbon. Toutefois, les véhicules électrique et surtout hybrides (thermique-électrique) pourraient représenter un peu plus de 20% du marché européen en 2020.