La révolte des savants

Par flenglet@latribune.fr  |   |  417  mots
Par François Lenglet, rédacteur en chef à La Tribune.

La France des mandarins gronde. À l'hôpital et à l'université, les mouvements de contestation contre les réformes initiées par le gouvernement convergent dans un même refus : nous ne voulons pas de patron, disent les médecins et les enseignants, alors que le gouvernement voudrait au contraire professionnaliser la gestion des facultés et des hôpitaux, pour en faire, sinon des entreprises, du moins des unités vigilantes sur leurs comptes et leurs performances.
On comprend les mandarins. Voilà des décennies qu'on leur a concédé la conduite des affaires, au terme d'un pacte mortifère : liberté dans la gestion et l'évaluation, limitée par l'amenuisement progressif des ressources financières jusqu'à l'absurde. Un pacte fondé sur un double aveuglement. Celui de la tutelle, s'accommodant du lent déclin de l'université, et celui des notables, préférant rester maîtres d'un royaume assailli par les comptables, plutôt que subir la remise en cause de leur pouvoir.
C'est l'évaluation du travail et des carrières qui fait trembler les blouses, robes et autres toques. Les dépositaires du savoir ne veulent pas s'en remettre aux gestionnaires parce que, disent-ils en substance, les hommes de chiffres sont ignorants. Et pourraient bien prendre leurs décisions de recrutement ou de promotion sur des critères ineptes témoignant bien de leur côté bas du front. L'efficacité, par exemple. Vieux réflexe des "sachants", qui leur fait toujours préférer la confortable évaluation par les pairs à celle de l'usager, du patient ou du contribuable, moins sensible aux effets de manches.
Là encore, on les comprend. Le jugement des pairs a maintes fois fait ses preuves. Chez les juges, où le Conseil supérieur de la magistrature sanctionne d'une simple réprimande un terrible fiasco judiciaire, celui d'Outreau. Ou encore chez les patrons salariés, dont la rémunération délirante est établie par des comités où siègent d'autres dirigeants.
Le jugement des pairs, c'est le conflit d'intérêts institutionnalisé et revendiqué. Reste un argument ressassé, qui est à la controverse ce que le gaz paralysant est aux armes conventionnelles : la santé et l'éducation ne sont pas des biens comme les autres, et ne sauraient subir la dictature du marché. C'est vrai. Tout comme les livres et les disques, le cinéma français, les journaux, l'alimentation, l'eau, l'électricité, le logement, la poste, le téléphone, le train. Il ne manque guère que les écrans plats.