Nicolas Sarkozy ou la fête du non-travail

Par Peter Gumbel  |   |  723  mots
Par Peter Gumbel, grand reporter pour "Time" et "Fortune", et auteur de "French Vertigo" (Grasset).

Elu sur un slogan, "travailler plus pour gagner plus", le chef de l'Etat ne peut que constater que deux ans plus tard le non-travail a toujours la cote.

Le mois de mai est la grande fête française du non-travail. Il commence toujours joliment avec une manifestation historique sponsorisée par les cultivateurs de muguet. A Paris et dans les autres grandes villes, la tradition veut qu'on assiste aux défilés qui sont toujours à la fois extrêmement importants, mais moins fréquentés que prévu ou que l'année précédente. Cette année, beaucoup de militants ont choisi de montrer leur colère en restant chez eux, ce qui est tout à fait compréhensible car le 1er mai est tombé un vendredi et, en outre, il faisait beau.

La grande fête du non-travail continue la semaine suivante avec un deuxième long week-end, le 8 mai. Ensuite, il y a la fête du Saint-Raffarin, connue aussi sous le nom de lundi de Pentecôte. C'est un jour férié assez curieux parce que, depuis quelques années, on ne sait plus s'il est chômé ou pas. La solution trouvée par la plupart des Français est de rester chez eux, ce qui est, selon moi, assez exemplaire du pragmatisme français pour tout ce qui concerne le non-travail. Car, décidément, mai en France est un mois pour flâner, pour se mettre à la terrasse d'un café et regarder passer les gens, partir à la campagne, bricoler à la maison, écrire son nouveau roman, et même chercher la plage sous les pavés - mais surtout pas pour travailler.

Je le constate sans critique, car le non-travail est un élément important de la qualité de vie en France, une qualité de vie enviée partout dans le monde, surtout aux Etats-Unis, ou chaque année on bosse en moyenne 261 heures de plus qu'en France. 261 heures, c'est 7 semaines de 36 heures et quelques jours...

Cela dit, il y a deux ans, les Français ont élu un président qui voulait changer l'éthique du travail dans ce pays. Il se vantait d'être le président de la France qui se lève tôt. Que s'est-il passé depuis?? Les fonctionnaires de Bercy se sont levés tôt?: on constate beaucoup de nouvelles lois comme la Tepa ou la loi du 25 juin 2008 sur la modernisation du marché du travail. Sur le terrain, cependant, ces réformes n'ont pas changé grand-chose. Le non-travail a toujours la cote.

Prenons comme exemple les fameuses heures supplémentaires. Une mesure symbolique, car elle a cassé le carcan des 35 heures. Les statistiques du ministère du Travail et des Relations sociales montrent que le nombre moyen d'heures supplémentaires trimestrielles déclarées par salarié dans les entreprises de plus de dix salariés a bondi en 2008?: les Français travaillent presque dix heures supplémentaires par trimestre.

En regardant les chiffres de plus près, pourtant, on constate que même en 2006, avant l'arrivée de M. Sarkozy à l'Elysée, le nombre des "heures sup'" s'élevaient à presque sept heures par trimestre. De plus, les experts du ministère nous avertissent que, avant la loi Tepa, les entreprises "n'ayant pas réduit leur durée du travail à 35 heures omettaient de déclarer une partie des heures supplémentaires régulièrement travaillées". En d'autres termes, on trichait.

Le bilan de cette révolution sarkozienne est donc modeste. Travailler trois heures de plus par trimestre, c'est l'équivalent de trois minutes par jour. Le temps pour un petit café rapide. Pourquoi le bilan n'est-il pas plus positif ? Peut-être est-ce la faute de la crise économique, qui empêche ceux qui veulent travailler davantage de le faire. Peut-être est-ce parce que les Français ont trouvé un bon équilibre entre le travail et le loisir, et veulent le garder. Peut-être est-ce parce que M. Sarkozy n'a toujours pas fait assez pour véritablement récompenser le travail, par exemple en baissant les impôts.

La bonne réponse, je ne la connais pas. Mais on peut très bien se poser la question tandis que l'on boit son café sur une terrasse et que l'on regarde les défilés colossalement modestes. Vive le non-travail?!