Investir en Russie : bon (d) ou pas bon (d) ?

Par Daria Mihaesco  |   |  979  mots
Par Daria Mihaesco, responsable des pays de l'Est pour la Suisse romande auprès de la banque Lombard Odier.

Le marché des euro-obligations russes est d'humeur légèrement plus optimiste depuis janvier. Même si les investisseurs étrangers restent toujours frileux, le marché se reprend après les niveaux absurdes atteints l'automne passé. Force est de constater que nous revenons de très loin. Pour mémoire, le jour où l'Islande annonçait qu'elle était en cessation de paiement, les "spreads" (mesure de risque) de l'obligation souveraine russe se situaient à des niveaux supérieurs à ceux de la république nordique !

Comment expliquer une perception aussi négative ? Les investisseurs étrangers semblent paralysés par la crainte de nationalisations intempestives et la presse internationale véhicule toutes sortes de chiffres, tous plus effrayants les uns que les autres, à propos de la dette totale contractée par les pays d'Europe Centrale et de l'Est à l'égard des banques étrangères. Le montant de 1.700 milliards de dollars est avancé. Plusieurs analyses ont démontré récemment les limites de ce calcul qui mélange allègrement les crédits accordés en devises par les banques locales et les prêts octroyés par les établissements étrangers.

A y regarder de plus près, on réalise que la Russie fait figure de bonne élève, avec une dette totale externe qui représente environ 40% de son produit intérieur brut (PIB), en comparaison des 200% de l'Allemagne ou du Royaume-Uni. Il est vrai que la banque centrale de Russie a abondamment puisé dans ses réserves pour soutenir sa monnaie nationale, le rouble, faisant baisser leur montant de 400 à 160 milliards de dollars.

Toutefois, les deux fonds de réserve de la Russie n'ont pas été touchés et affichent un solde global de 206 milliards de dollars. Ces données sont disponibles - en anglais, s'il vous plaît - sur le site du ministère des Finances russe à l'intention des investisseurs peu influençables et intrépides, qui s'aventurent sur ces chemins de traverse.

A la décharge des autres investisseurs, plus "réservés", il est vrai que la Russie ne brille pas par sa transparence et la clarté de son système. Elle le paie, malheureusement pour elle, au prix fort. Ironiquement certains pays de l'Ouest, qui ont augmenté leur dette externe de manière sensible ou plus simplement encore fait "tourner la planche à billets", auront peut-être plus de mal à remonter la pente mais leurs émissions obligataires ont toutes les faveurs des investisseurs malgré des rendements particulièrement bas.

Le vrai problème en Russie ne se posera pas, à mon avis, pour les investisseurs mais pour les banques ayant accordé des prêts. En effet, il est difficile d'imaginer que ce pays, qui s'est battu pour se faire reconnaître sur le plan économique au niveau international et dont les finances sont dirigées de manière très conservatrice par le ministre Alexei Kudrin - que peu d'observateurs extérieurs oseraient critiquer -, se laisse soudainement aller à faire défaut sur des obligations souveraines ou pratiquement souveraines (Gazprom). Le vrai problème pourrait résider ailleurs.

En effet du temps des crédits "faciles", bon nombre de compagnies russes ont emprunté auprès des banques étrangères (autrichiennes, italiennes, françaises et suisses), en mettant en garantie les actions de leurs sociétés. Maintenant que la crise a atteint l'économie russe de plein fouet, ces entreprises ne sont plus en mesure de payer le service de leur dette. Quelle possibilité reste-t-il aux banques créditrices ? Déclarer la faillite et se saisir des biens de ces entreprises en essayant ensuite de trouver un hypothétique repreneur dans un marché sous-évalué ? Gérer une société dans un marché compliqué et sans disposer du savoir-faire nécessaire à la Russie ?

Il semblerait que la majorité des banques aient choisi une troisième voie : celle de la décantation. Autrement dit, la remise au lendemain. Comme aucun refinancement n'est possible, les dettes sont restructurées et les remboursements repoussés d'une année au prix d'une forte augmentation du taux appliqué. Dernièrement, une grande société chimique a vu les intérêts de sa dette pour 2009 être tout bonnement repoussés à 2010 par deux banques internationales et une russe, au prix d'un changement de son taux de référence qui a grimpé de 8 à 18%. A moins d'une reprise miraculeuse de l'économie mondiale, c'est reculer pour mieux sauter, et l'on peut s'inquiéter des conséquences des engagements pris par certaines de ces banques d'investissement, tant internationales que russes.

De son côté, la banque centrale de Russie pourrait utiliser cette situation, pour procéder à une consolidation de son secteur bancaire - anticipée depuis longtemps par certains - en sauvegardant les grandes institutions bancaires et en sacrifiant certaines plus petites. En parallèle, des entreprises actives sur d'autres secteurs pourraient être "sauvées" par l'Etat russe qui de manière assez opaque pourrait commencer à nationaliser certaines firmes en difficulté. Cela est probablement tragique pour leurs propriétaires, mais de façon assez cynique, pourrait être plutôt confortable pour les actionnaires ou créditeurs de ces mêmes sociétés qui continueraient ainsi à servir leur dette.

Ces différents éléments devraient rassurer les investisseurs sur la solidité de la Russie. Et pourtant, la dernière euro-obligation de Gazprom a été lancée la semaine passée au pair en dollars (à échéance dans dix ans mais remboursable au gré de l'investisseur après trois ans) dans une assez grande indifférence. Elle rapporte tout de même un coupon de 9,25%. Quant à la Russie, elle vient d'annoncer qu'elle réfléchissait à l'émission d'un nouvel emprunt russe en dollars pour 2010. Il serait souhaitable qu'elle investisse conjointement dans une sérieuse équipe de relations publiques et qu'elle montre un peu plus de transparence dans un monde où l'apparence prime définitivement sur la réalité.