Un discret coupable de la crise, le postmodernisme

Par Harold James, professeur d'histoire à la Woodrow Wilson School (Princeton) et à l'European University Institute (Florence).

Maintenant que la crise économique s'avère moins menaçante, et que les conjoncturistes entrevoient des signes de reprise, on assiste à une chasse aux coupables, la crise offrant une occasion inépuisable de dénoncer la supercherie et la corruption. Mais démasquer qui et quoi ?

Au début, les grands banquiers ont fait des coupables idéaux : après avoir engrangé des profits considérables, ils ont réclamé l'aide publique. Diaboliser ces individus manifestement arrogants et surpayés était facile.

Et les politiques ? Pourquoi les banques n'étaient-elles pas davantage contrôlées ? Les politiciens n'étaient pas corrompus, mais persuadés que l'innovation financière était la clé de prospérité générale, qui élargirait l'accès à la propriété et le soutien populaire aux élections.

Les récriminations au lendemain des crises financières ont une longue histoire. Aujourd'hui, les attaques ne se limitent pas aux sphères politique et financière. Les détracteurs s'efforcent d'identifier les idées responsables du dysfonctionnement. Comme si l'innovation financière était motivée par des innovations intellectuelles. Dans cette optique, les économistes, à de rares exceptions près, sont discrédités.

Robert Lucas est cité pour avoir déclaré en 2003 que "le grand problème de prévention de la récession a été résolu, en pratique, et qu'il l'est en fait pour les décennies à venir". Les économistes, il est vrai, ont eu une influence sur les politiques. En fait, les nouveautés et effets de mode dans d'autres disciplines scientifiques et dans la culture générale ont contribué à favoriser la prise de risques absurdes, à proposer et à accepter des évaluations de titres complexes par nature insondables. Les évolutions culturelles postmodernistes voient la raison remplacée par l'intuition, le ressenti et l'allusion.

Or le postmodernisme est lui-même issu de la technologie, avec laquelle il entretient une relation ambiguë. Contrairement aux vieilles automobiles à vapeur, dont le fonctionnement du moteur était facilement compréhensible, les automobiles modernes ou les avions sont si compliqués que leurs utilisateurs n'ont aucune idée de la façon dont ils fonctionnent. Internet a créé un monde où la stricte logique importe moins que la juxtaposition d'images frappantes. Le postmodernisme s'éloigne de la culture rationnelle des temps dits "modernes". On y trouve davantage d'analogies avec la vie médiévale, où les hommes, entourés de processus qu'ils appréhendaient difficilement, pensaient vivre dans un monde peuplé de démons et de forces mystérieuses.

La finance mondiale récente était différente de celle d'il y a un siècle. Ses manifestations culturelles paraissaient originales. Elle était enjouée, allusive et pointue - donc postmoderne. Elle voyait la tradition et l'histoire non comme contraintes mais comme sources de référence ironique. A l'apogée de cette période, les grands acteurs financiers composaient des collections extrêmement coûteuses d'art moderne très abstrait. Le mépris postmoderne pour la réalité créait le sentiment que le monde était malléable et en constant changement, aussi éphémère et dépourvu de sens que les cours de la Bourse.

Une alliance a été formée entre des experts financiers, qui pensaient vendre des idées réellement innovantes, une élite politique, qui embrassait le principe de "réglementation allégée" et un climat culturel qui incitait à l'expérimentation et au rejet des valeurs traditionnelles. Résultat : tout type de valeur - y compris financière - était considéré comme arbitraire et fondamentalement absurde.

Quand l'incompréhension ne génère plus de la prospérité mais l'effondrement de l'économie, la colère grandit. La chasse aux coupables ressemble de plus en plus à la chasse aux sorcières de l'époque médiévale et des débuts de l'ère moderne avec pour but de donner du sens à un univers désordonné et hostile.

© Project Syndicate

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Cet article esquive la source de cette "exubérance irrationnelle des marchés", la dette américaine détachée de la réalité des réserves d'or, qui a formé une bulle financière posée sur le dos du milliard de travailleurs chinois sacrifiés pour des lend...

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