Hadopi : coupez, on la refait...

Par Nicolas Maubert et Emmanuel Raynaud  |   |  826  mots
Par Nicolas Maubert, avocat spécialiste en droit d'auteur et nouvelles technologies, et Emmanuel Raynaud, avocat pénaliste (cabinet Gide Loyrette Nouel).

Entendant tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 ayant censuré certaines dispositions de la loi Hadopi, le gouvernement n'aura pas attendu longtemps avant de publier un nouveau projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, destiné à compléter le dispositif - amputé - de riposte graduée initié par la loi Hadopi.

Alors que le Conseil Constitutionnel semblait inviter le gouvernement à privilégier l'amende plutôt que la suspension de l'abonnement, le projet de loi publié mercredi 24 juin ne poursuit pas cette voie, même s'il laisse entrevoir la possibilité de recourir à l'amende ultérieurement.

Ainsi, la véritable nouveauté réside dans le fait que désormais deux types de coupures (prononcées par le juge, et non plus par l'Hadopi) sont prévues:

- une suspension de l'accès d'une durée maximale d'un an assortie d'une interdiction de réabonnement comme peine complémentaire (c'est-à-dire qui peut être prononcée par le juge, en complément voire même en remplacement d'une autre peine) du délit de contrefaçon (déjà réprimé par des peines pouvant aller jusqu'à 300.000 euros et trois ans d'emprisonnement) ;

- une suspension de l'accès d'une durée maximale d'un mois, comme peine complémentaire d'une contravention de cinquième classe venant réprimer une infraction non encore définie.

En raison de la multiplicité des atteintes aux droits d'auteur et droits voisins commises sur Internet, le projet de loi prévoit en outre la possibilité de confier désormais à un juge unique le soin de juger les délits de contrefaçon (quels qu'ils soient), et de recourir à la procédure simplifiée dite d'ordonnance pénale.

Ce projet de loi qui sera prochainement débattu au parlement, appelle d'ores et déjà quelques observations préliminaires.

1° Il constitue, à n'en pas douter, un complément indispensable au dispositif mis en place par la loi Hadopi, a fortiori depuis que cette autorité administrative s'est vue retirer ses pouvoirs de sanction ; en effet, seul le spectre d'une sanction pénale adaptée, certaine et immédiate est de nature à dissuader les Internautes les plus récalcitrants de continuer à télécharger des fichiers de manière illégale.

2° S'agissant de l'amende, il est regrettable que la contravention qui en sera à l'origine n'ait pas encore été définie. Il aurait été certainement plus logique de définir d'abord l'acte incriminé, avant d'en fixer les peines. On ne sait ainsi toujours pas aujourd'hui ce pourquoi on sera puni (hormis les actes de contrefaçon eux même). Il est donc impératif que les contours de cette contravention soient définis rapidement.

Cette réponse pénale parait en effet de prime abord d'autant plus efficace qu'elle pourrait être mise en ?uvre sans difficulté par voie d'ordonnance pénale (c'est-à-dire dans le cadre d'une procédure simplifiée permettant au juge de prononcer sans débat préalable ni motivation, une amende notifiée au prévenu par lettre recommandée A/R), que le montant de l'amende encourue, quel que soit le nombre de fichiers téléchargés, est dissuasif (1.500 euros), et que le juge pénal pourra confisquer la "chose" ayant servi à commettre l'infraction, en l'occurrence l'ordinateur ou tout équipement portable multimédia ayant permis le téléchargement.

3° S'agissant du délit de contrefaçon, on peut s'interroger, en revanche, sur l'opportunité d'une poursuite par voie d'ordonnance pénale, non adaptée aux délits complexes et insuffisamment protectrice des intérêts des victimes.

4° De manière générale, et eu égard à l'attention toute particulière que le Conseil constitutionnel a apporté à la dernière loi Hadopi, les parlementaires devront s'interroger sur la constitutionnalité des dispositions du nouveau projet. Comment celui-ci appréhendera-t-il, s'il est saisi, les différentes suspensions au regard des principes de légalité et de proportionnalité des peines ? Comment analysera-t-il la différence de traitement pour le même délit (contrefaçon) entre deux justiciables (risque d'emprisonnement devant le tribunal correctionnel alors que seule une amende - et une éventuelle peine complémentaire - est encourue en matière d'ordonnance pénale) ?

Il faut espérer, pour la survie du secteur des industries culturelles, que naîtra du futur débat parlementaire un texte législatif cohérent susceptible d'entrer en vigueur rapidement et sans les difficultés qu'a connue la première loi Hadopi. La publication concomitante d'un décret définissant l'infraction à laquelle il est simplement fait allusion dans le présent projet de loi parait en outre nécessaire si la France souhaite se doter d'un dispositif de riposte graduée à la fois complet et efficace. La tâche du législateur est d'autant plus difficile qu'il doit concilier la stricte interprétation de la loi pénale avec le caractère évolutif du secteur des nouvelles technologies.