La déflation bientôt enterrée !

Par Yann Schorderet  |   |  795  mots
Par Dr. Yann Schorderet, CFA, stratégiste quantitatif, Sous-Directeur chez Mirabaud & Cie Banquiers Privés.

A en croire les glissements annuels des indices des prix à la consommation, les grandes puissances économiques auraient déjà sombré en déflation. Ainsi l'Europe et les Etats-Unis seraient tous deux affligés du pire des maux en économie ! A y regarder de plus près cependant, ce verdict basé sur la seule lecture de l'indice des prix à la consommation est trompeur bien heureusement. Plus encore, si ce spectre déflationniste reste un risque à court terme, l'agenda de sa mort prochaine peut être annoncé de manière formelle.

Pour comprendre l'origine de cette situation, il suffit de rappeler l'un des faits marquants du premier semestre de l'année passée. En raison d'un engouement sans précédent pour les matières premières, de très nombreux investisseurs se sont rués sur les véhicules qui y étaient rattachés, créant in fine une bulle spéculative sur ces biens particuliers. Pour mémoire, le baril de pétrole qui s'échangeait à environ cent dollars au début de l'année 2008 s'est négocié à près de cent cinquante dollars six mois plus tard. Comme chacun le sait, les éléments de crise déjà présents à l'époque et conjugués à ceux naissant de cette folle envolée provoquèrent l'effondrement des prix de toutes les matières premières.

Une seule observation extrême peut lourdement peser sur la moyenne de l'échantillon

La pratique la plus courante en ce qui concerne l'évaluation de l'inflation revient à calculer la variation sur douze mois des différents paramètres du coût de la vie. Dans ce contexte, la chute des prix des produits bruts relatée ci-dessus est particulièrement importante. Pour reprendre l'exemple du prix du pétrole, le déclin dépasse cinquante pour cent en glissement annuel ! Malgré un poids relativement marginal de l'essence et des autres postes liés à l'alimentation et à l'énergie dans l'indice des prix à la consommation, cette baisse de prix est si forte qu'elle s'impose face aux pressions inflationnistes émergeant des autres composantes de l'agrégat. Ce problème est bien connu des statisticiens : une seule observation extrême peut lourdement peser sur la moyenne de l'échantillon. En ce sens, la moyenne n'est plus représentative de la tendance centrale de la distribution. Non seulement ce pseudo phénomène déflationniste est la conséquence de quelques biens spécifiques, mais en outre, les valeurs de référence utilisées dans le calcul des glissements annuels sont entachées des mouvements spéculatifs ayant caractérisé le marché des "commodities" sur la première moitié de l'année écoulée.

Deux remarques résument simplement ce propos : lorsque les matières premières sont exclues des indices des prix, les chiffres se situent bien au-dessus du seuil de zéro. Ironiquement aux Etats-Unis, le taux d'inflation émanant de la version dite sous-jacente de l'indice des prix à la consommation est maintenant proche de deux pour cent, soit le seuil de tolérance généralement admis par les banquiers centraux ! Alternativement, lorsque l'évolution de la version globale est examinée sur une période qui n'est pas biaisée par la bulle précédemment citée, c'est une progression de l'indice des prix qui est au contraire observée. Rappelons à ce titre que les cours pétroliers se sont appréciés de plus de trente pour cent depuis le début de l'année.

Ce constat permet d'annoncer formellement la mort de ce phénomène identifié à tort comme déflationniste. Dès que les effets de base dont il est question seront définitivement enterrés, les pressions exercées par les prix des matières premières disparaîtront naturellement. En rappelant que les cours des "commodities" ont commencé à trembler à la mi-juillet 2008, la fin de l'évolution négative des indices des prix est déjà programmée.

Les craintes proférées depuis le début de la crise seraient-elles donc infondées ? Non, mais il s'agit de reconnaître les réelles raisons de s'inquiéter. Un processus déflationniste constitue un danger pour l'économie si les agents anticipent une baisse des prix et reportent leur consommation en conséquence. Dans cette perspective, ce n'est pas le retour des prix des matières premières à des niveaux moins exubérants qui doit causer souci puisque le phénomène n'engendre pas un recul de la demande de la part des ménages, bien au contraire. Par contre, la dégringolade des prix des maisons incite ceux qui envisagent l'acquisition d'un bien immobilier à patienter, voire les détenteurs d'un prêt hypothécaire à se désendetter, ce qui induit un risque déflationniste évident.