"America is dead ? No, corporate America is back ! "

L'Amérique n'est pas morte, rétorque, à ceux qui annoncent son déclin certain, Franck Dangeard, ancien dirigeant de société qui a scruté les mouvements de concentration dans la finance et la technologie. Les résultats sont impressionnants : l'Amérique est bien en train de créer des géants encore plus forts, pendant qu'en Europe la création de grands groupes mondiaux semble encore heurter tout le monde.

Il est de bon ton dans certains pays européens de considérer que la crise économique et financière va affaiblir les Etats-Unis de façon permanente. L'OPA de Kraft sur Cadbury n'est qu'une preuve supplémentaire que rien n'est plus faux.

Certes, l'influence politique des Etats-Unis en sort diminuée après les années Bush, le dollar est affaibli par le déficit extérieur, les finances fédérales et des Etats sont gravement déficitaires, et le taux de chômage, qui dépassera sans doute les 10% pour la première fois depuis la crise de 1929, va rester durablement élevé. Mais en déduire un affaiblissement généralisé de l'économie américaine, c'est ne pas avoir conscience du formidable mouvement d'adaptation qui est en cours dans les entreprises. Prenons par exemple deux secteurs très différents, la finance et la technologie.

La finance d'abord. Depuis l'été 2007, on assiste à un mouvement sans précédent de concentration avec la création de cinq énormes conglomérats financiers, bénéficiant en pratique de la garantie de l'Etat fédéral : BoA, Citi, Goldman Sachs, JP Morgan et Wells Fargo. Il serait exagéré de dire que les Etats-Unis viennent de créer cinq Federal Reserve Banks supplémentaires, mais l'image n'est pas totalement inexacte !

JP Morgan, après l'absorption de Bear Sterns et de WaMu, a retrouvé son lustre d'il y a cent ans. L'acquisition de Merrill Lynch a été difficile, mais personne ne doute que Bank of America ressortira renforcée de cette crise. Citi donne parfois l'impression d'être un "canard boiteux", mais les demandes de démembrement sont déjà moins pressantes. Wells Fargo n'a pas hésité à offrir 7 fois ce que proposait Citi pour absorber Wachovia. Enfin, Goldman Sachs se joue avec insolence de la déroute de ses concurrents. Toutes ont renoué avec des milliards de dollars de profits, leurs cours de Bourse ont explosé, et elles se sont refinancées sans difficultés sur des marchés qui voulaient tourner la page de la crise financière.

Non seulement, ces entités sont évidemment "too big to fail", mais elles profiteront pleinement de la nouvelle phase de croissance des marchés financiers, sans même que soit nécessaire un retour à la finance "casino" des années 2002-2007, et à plus forte raison si cela devait être le cas. Dans la technologie, le phénomène est identique, même si les moteurs diffèrent. Les grandes entreprises technologiques américaines subissent l'effet de la crise de façon limitée. Elles continuent donc à accumuler des liquidités considérables et à investir en R&D. En plus, l'effondrement des valeurs boursières leur offre des opportunités d'acquisition inespérées.

Cinq grands groupes en particulier ont su les saisir et créer de véritables conglomérats verticalisés, du "hardware" au "software", et du marché entreprise au marché grand public : Cisco, HP, IBM, Microsoft et Oracle. Ces cinq groupes, de plus en plus concurrents entre eux, sont en train de créer des "écosystèmes" où consommateurs et entreprises trouvent tout ce dont ils ont besoin, mais deviennent captifs. Même Apple ou Google, dont les succès ont été foudroyants, donnent le sentiment d'être distancés. Quant aux autres entreprises, pourtant leaders dans leur domaine technologique, qui croyaient avoir une taille critique suffisante (5, 10 ou 15 milliards de dollars de chiffre d'affaires, selon leur degré de spécialisation), elles doivent complètement repenser leur stratégie. Le "rouleau compresseur" de l'un des cinq conglomérats est peut-être sur le point de les absorber également !

Ces deux exemples sont loin de faire exception : il en est de même des secteurs des médias, de l'énergie, ou encore, avec l'OPA de Kraft, des biens de consommation. La course à la taille n'est peut-être pas une fin en soi ou un gage de succès. Mais force est de constater que des secteurs entiers de l'économie américaine profitent de la crise pour se concentrer, afin que leurs entreprises abordent la phase suivante, notamment de concurrence avec l'Asie, plus puissantes encore.

Le contraste avec ce qui se passe en Europe est saisissant. Nos banques sont sanctuarisées, à quelques petites exceptions près, avec la bénédiction des Etats. Leurs modèles économiques, résistants en période de crise, n'ont probablement pas la même capacité de rebond. Dans la technologie, Nokia joue encore dans la cour des grands, avec une stratégie identique d'acquisition tous azimuts. Mais le reste du secteur est marginalisé. D'ailleurs, il intéresse peu les Asiatiques et les Américains, qui se contentent de gagner des parts de marché.

Car, en Europe, la création de grands groupes mondiaux semble heurter tout le monde : les politiques qui soutiennent "leurs" entreprises, et non celles des voisins ; les salariés et les syndicats qui craignent des "purges" ; les opinions publiques et la presse qui analysent les concentrations en termes purement manichéens et les considèrent comme anormales ; et les organes de gouvernance et les directions générales qui, dans cette ambiance de "chasse aux sorcières", ne semblent pas avoir le courage de mettre en ?uvre ce qu'une analyse lucide leur suggère.

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