La crainte injustifiée du retour de l'inflation

La forte création de monnaie par les banques centrales, intervenue dans le cadre de la politique de lutte contre le risque de dépression, a ranimé une peur ancestrale. L'opinion s'inquiète, impressionnée par des commentaires brandissant le spectre des assignats de la Révolution française . Mieux vaudrait expliquer l'interaction complexe de la monnaie et des prix dans les mécanismes économiques.

L'inflation peut être observée dans deux domaines distincts où elle se développe selon des processus différents : l'inflation courante des prix des biens et services (celle à laquelle on se réfère le plus souvent pour estimer le pouvoir d'achat de la monnaie), et l'inflation des prix d'actifs qui concerne les diverses catégories de biens de capitaux (immeubles, entreprises, titres financiers, métaux et objets précieux, etc.).

Dans le premier cas, nous avons affaire au cycle primordial de la vie économique où la production et la demande se génèrent mutuellement par l'intermédiaire du revenu. Dans le second, au contraire, nous observons la transformation progressive d'une réalité durable : le capital. Malgré leurs interférences, les données concernant le circuit du revenu et celles qui sont relatives au capital sont d'ordre radicalement différent. Rien d'étonnant dès lors que l'influence de la création monétaire s'exerce dans les deux cas selon des mécanismes et avec des effets tout à fait distincts.

Si l'on considère l'ensemble des données qui, dans les tableaux de la comptabilité nationale, expriment la confrontation de l'offre et de la demande générant le mouvement de la vie économique, on voit que la liquidité monétaire, qui est de tout autre nature, n'y a pas sa place. Elle ne peut à elle seule y avoir d'effet sur les prix courants. Elle constitue seulement une réserve potentielle de pouvoir d'achat qui intervient sur le marché si, et seulement si, elle s'accompagne d'une hausse des revenus qui obéit à d'autres conditions.

Par exemple, l'inflation courante peut être déclenchée par une hausse rapide des salaires. Elle peut l'être aussi par une gestion laxiste des dépenses publiques qui ne se borne pas à une intervention conjoncturelle en période de récession mais alourdit de façon récurrente les dépenses de fonctionnement. Faute de voir réunies ces conditions nécessaires, l'excès de création monétaire ne se matérialise pas sur le marché et aboutit seulement à une baisse de la vitesse de circulation de la monnaie.

Du côté des prix d'actifs, l'influence de la création monétaire est plus directe car elle n'est pas soumise à des conditions préalables. Une brusque augmentation de la liquidité modifie sur le champ la répartition du capital entre les placements monétaires, et les autres placements. Sauf à supposer que le nouveau partage qui s'est établi corresponde exactement à une soudaine modification des choix des investisseurs, ce qui est hautement improbable, le gonflement rapide des actifs monétaires va déclencher des arbitrages destinés à rétablir les poids relatifs des diverses formes de placements tels que choisis auparavant par les détenteurs de capitaux. Le mécanisme qui conduit de l'excès de liquidité à l'inflation des actifs entre donc en jeu de façon moins aléatoire que celui qui gouverne les prix courants.

Certes, on peut imaginer des situations exceptionnelles où le gonflement soudain de la masse monétaire coïncide avec une brusque pression sur les revenus ou que se manifeste soudain un désir des investisseurs de changer la structure de leurs placements au profit de la liquidité. Hormis ces cas improbables, l'abondance des liquidités se fait sans doute sentir plus rapidement et plus fortement sur les marchés d'actifs que sur ceux des biens et services.

Une telle situation s'est produite à plusieurs reprises depuis une vingtaine d'années : les injections massives de liquidités, qui ont suivi les opérations de sauvetage après les crises monétaires de 1987 puis de 1997 et 1998, ont créé des bulles financières mais n'ont pas sensiblement accéléré l'inflation courante. Cette analyse des processus par lesquels la création monétaire agit sur les prix montre que le contraste entre les deux grandes catégories de prix, loin d'être une étonnante curiosité, est au contraire conforme à une certaine logique dans la formation des prix. Il correspond donc à une situation moins improbable et éventuellement plus durable que beaucoup ne l'imaginent.

Le fonctionnement des deux mécanismes distincts décrits plus haut incite à penser que, dans la situation présente et sans doute pour longtemps encore, l'abondance des liquidités ne devrait pas avoir d'effets nocifs caractérisés. Sur les prix courants, rien n'indique que l'inflation soit près d'être rallumée par un brusque dégel des salaires ; quant à la montée des déficits publics, elle est largement compensée par la baisse de la demande privée de sorte que les économies développées sont aujourd'hui bien éloignées d'une situation de surchauffe.

Enfin, concernant les prix d'actifs, la généreuse création monétaire récente exerce effectivement la pression haussière attendue sur les marchés des actions, ceux-ci anticipant la diffusion de l'excès de "monnaie banque centrale" à l'ensemble de la masse monétaire. Toutefois, le risque de bulle n'est pas d'actualité compte tenu de l'effondrement préalable des cours.

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