La Russie à la recherche d'un nouvel équilibre

L'intention exprimée par Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine de se présenter aux élections présidentielles de 2012 a été perçue comme le signe d'une compétition au sommet. L'un et l'autre ont intérêt, dans le contexte actuel, à faire croire à une rivalité pour mieux masquer leur connivence. D'autant qu'ils s'accordent sur un point essentiel : privilégier la financiarisation de l'économie plutôt que sa réindustrialisation.

Pour commencer, un rappel constitutionnel. En novembre 2008, le Parlement russe a décidé d'allonger le mandat présidentiel de quatre à six ans (renouvelable une fois) à partir des élections de 2012. Ce rappel est nécessaire pour comprendre les récentes déclarations de Dmitri Medvedev et de Vladimir Poutine, qui n'excluraient ni l'un ni l'autre de se représenter. Ces déclarations ont été interprétées comme le signe de divergences au sommet de l'Etat annonçant de possibles remous. Après des mois de crise aiguë, qui ont fait vaciller les ressorts de la puissance russe, elles annoncent un nouveau cycle politique et économique sans pour autant mettre en cause les fondamentaux du régime.

A l'évidence, Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev ne sont pas dans les mêmes dispositions psychologiques. Légalement, rien n'interdit à V. Poutine, actuel Premier ministre, d'espérer occuper le pouvoir jusqu'en 2024 s'il est réélu. Il aura alors 72 ans et sera en mesure de marquer l'histoire du pays de son empreinte. Rien n'interdit non plus au président Medvedev de se représenter pour un nouveau mandat de six ans jusqu'en 2018. Il aura alors 53 ans. En cumulant les années, V. Poutine peut exercer le pouvoir pendant un quart de siècle en s'inscrivant dans une filiation allant de Pierre à Staline en passant par Catherine. Il pense désormais son destin en fonction de l'histoire russe, d'où l'importance qu'il accorde à la lecture politique de la Seconde Guerre mondiale. Symbole d'une nouvelle génération, D. Medvedev est davantage préoccupé par sa légitimité nationale et internationale : ses étalons demeurent Vladimir Poutine et les autres chefs d'État, d'où l'importance qu'il accorde à l'image de marque du pays.

Ces différences se traduiront-elles par une rivalité sourde, susceptible de déstabiliser le pays, comme en Ukraine ? L'opposition de style fait la force du tandem : Medvedev et Poutine sont, au fond, étroitement complémentaires vis-à-vis de leur opinion comme de leurs partenaires étrangers. En réalité, leurs déclarations délimitent l'espace politique russe, comme si le débat se résumait à leur dialogue à distance. Les deux hommes au pouvoir ne craignent nullement l'organisation d'une force politique rivale, mais davantage la capacité d'inertie du système, présentée par leurs entourages comme la principale force d'opposition à la réforme. Pour conserver leur liberté d'action, ils ont l'un et l'autre intérêt, dans le contexte actuel, à faire croire à une rivalité naissante pour mieux masquer leur connivence.

Cette opposition de style porte-t-elle les germes d'un débat sur le modèle politico-économique de la Russie ? La réponse est plus complexe car on sent poindre des débats d'écoles, qui ne recoupent pas forcément les entourages respectifs. La discussion porte sur la notion de modernisation et son corollaire, la nature des partenariats étrangers. Dans le discours, tout le monde, ou presque, est favorable à la diversification de l'économie. Dans les faits, la modernisation fait naître un clivage entre les tenants d'une diversification basée sur un fort contrôle étatique et les promoteurs d'une diversification basée sur l'esprit d'entreprise et l'abaissement des contraintes administratives.

Les premiers dominent en période de prix énergétiques élevés. Les seconds insistent sur le capital humain de la Russie. Cette distinction se ressent dans l'approche de l'étranger. Pour les uns, il s'agit de maintenir un niveau de tension géopolitique afin d'exercer une pression constante sur les prix énergétiques et "politiser" les échanges économiques. Cela se traduit notamment par une politique conciliante vis-à-vis du Venezuela ou de l'Opep. Pour les autres, il s'agit de poursuivre l'intégration de la Russie à l'économie mondiale, en misant notamment sur l'approfondissement de la relation UE-Russie.

Pour des raisons différentes, ces deux courants convergent sur un point capital : ils misent sur la financiarisation de l'économie russe, plutôt que sur sa réindustrialisation. La diversification se fera, selon eux, par les services, notamment financiers, afin de recycler les liquidités générées par les marchés de l'énergie. Cette approche s'explique par des raisons objectives, extérieures et intérieures : le décrochage inexorable en matière industrielle par rapport à la Chine et les projections de main?d'?uvre laissant notamment apparaître un déficit d'ingénieurs à horizon 2020.

Cette financiarisation devrait se fonder sur un renforcement des oligarchies, qui - plan de relance oblige - ne peuvent plus faire preuve aujourd'hui de la même arrogance politique que par le passé. Cette discrétion est affaire de contexte. En d'autres termes, la bataille à venir sera moins entre D. Medvedev et V. Poutine qu'entre des groupes industrialo-financiers sollicitant leur parrainage. Courtisés, les deux hommes seront en position privilégiée pour suivre la prochaine vague de privatisation, prévue en 2010, et auront leur mot à dire, pour des prises de participation étrangère. La mort de Boris Eltsine leur a conféré une position unique. L'un et l'autre n'ont de cesse de défendre les prérogatives présidentielles : défense de la constitution et commandement des forces armées, pour mieux se distinguer des milieux d'affaires. Pour continuer à se singulariser, les deux hommes devraient continuer à s'entendre. En 2024, D. Medvedev aura 59 ans.

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