Les mécanismes de la polarisation de l'opinion

"Les réseaux sociaux en ligne ont servi de machines à polariser les esprits", souligne le sociologue américain Cass Sunstein, 
à propos de la campagne d'Obama.

La victoire d'Obama, voici bientôt un an, a été favorisée par Internet. Les "réseaux sociaux" en ligne ont été délibérément exploités par les organisateurs de la campagne. Surtout, ils ont servi aux partisans d'Obama, minoritaires au départ, souvent jeunes, à diffuser et à faire progresser leur point de vue, de proche en proche, par contagion. Les réseaux sociaux ont servi de machines à polariser les esprits, écrit le juriste et sociologue américain Cass Sunstein dans un livre saisissant (*).

En s'appuyant sur de nombreux travaux expérimentaux et d'analyse rétrospective, il s'interroge sur les mécanismes par lesquels un groupe ou une population se forge une conviction - pour le meilleur ou pour le pire. Comment le microcosme de la Maison-Blanche en est-il arrivé à se convaincre de l'ardente obligation d'intervenir en Irak ? Comment les cours d'appel forment-elles leur jugement sur des questions sensibles ? Comment la communauté financière se laisse-t-elle entraîner à commettre une erreur collective ? Comment un groupe de jeunes en vient-il à torturer ? Comment des personnes hostiles à l'avortement passent-elles à l'action meurtrière ? Comment un conseil d'administration peut-il, au terme de nombreuses délibérations, finir par prendre une décision absurde ? Pourquoi le peuple allemand a-t-il voté pour Hitler ?

Enoncé par Condorcet, le théorème du jury est souvent présenté à l'appui de la thèse de la sagesse de la foule. Supposons que dans un groupe, les gens doivent répondre à une question par oui ou par non et que la probabilité qu'une personne réponde juste soit supérieure à 50%. La probabilité que la majorité du groupe réponde juste croît avec la taille du groupe.

C'est bien joli, remarque Sunstein. Mais supposons (comme Condorcet n'a pas manqué de le faire) que la probabilité qu'une personne réponse juste soit inférieure à 50%. Ne voit-on pas le phénomène inverse se produire ? Si, naturellement. La probabilité que la majorité du groupe réponde juste tend alors vers zéro. Or, dès qu'une question est un peu complexe, ou chargée d'émotion, la probabilité qu'une personne réponde faux est souvent supérieure à 50%...

Concrètement, les expériences menées par des psychologues professionnels (Sunstein en a conduit plusieurs) illustrent non seulement la puissance des effets d'entraînement à l'?uvre dans les groupes qui délibèrent, mais le caractère automatique de certains d'entre eux. En prenant un échantillon de gens majeurs et vaccinés, il est possible, dans certaines conditions, de prévoir le résultat d'une délibération. C'est ce qu'on appelle la "polarisation de groupe".

La règle de base est celle-ci : "quand des gens se retrouvent dans un groupe formé de gens qui ont tendance à penser de la même manière, ils sont incités à durcir leur position." Au point, parfois, d'aboutir à un point de vue extrême, allant bien au-delà de ce qu'ils étaient prêts à penser au départ. Le phénomène est accentué si le groupe comprend un leader ou une autorité. La polarisation de groupe est à mettre en relation avec un autre phénomène, auquel Sunstein s'est aussi intéressé : Internet renforce la compartimentation des groupes d'opinion.

Comme chacun sait, la plupart des gens qui lisent (ou lisaient) un quotidien préfèrent acheter celui qui est le plus proche de leurs opinions. Nous craignons la dissonance cognitive. De même, en période électorale, ceux qui lisent des livres achètent de préférence des livres en phase avec leurs convictions. A l'ère d'Internet, le quidam va systématiquement rechercher les blogs et les sites qui tendent à renforcer ses opinions, délaissant les autres.

Avec prudence, Cass Sunstein aborde çà et là dans son livre un sujet brûlant : le réchauffement climatique. Dans quelle mesure le théorème de Condorcet et la polarisation de groupe montrent-ils leurs effets dans le formidable mouvement d'opinion auquel on assiste sur la question de l'effet de serre ? La question est ouverte.

 

(*) "Going to Extremes. How Like Minds Unite and Divide" (Vers les extrêmes. Comment les esprits apparentés s'unissent et s'opposent), Oxford University Press, 2009.

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Commentaire 1
à écrit le 14/10/2009 à 9:40
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Cela confirme que les partis poliltiques ne propagent pas la "vérité" et ne sont pas prêts à la tolérance d'opinions différentes. On s'en doutait.

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