Fed d'aujourd'hui, Fed des années 1930

Comme Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale américaine, Isaac Joshua est un spécialiste de la crise des années 1930. L'économiste, membre du conseil scientifique d'Attac, estime, à la veille du 80ème anniversaire du krach du 24 octobre 1929, que la politique monétaire américaine n'a pas été à l'époque aussi inefficace qu'on l'a dit. Et que son comportement actuel n'est pas aussi exemplaire qu'on le pense.

Derrière les cris de joie d'une reprise annoncée, c'est un immense soupir de soulagement que l'on entend : le grand effondrement n'a pas eu lieu. Et l'on se félicite bruyamment que la Banque centrale américaine (la Fed) d'aujourd'hui n'ait pas suivi les traces de celle des années 1930, reprenant à cette occasion, comme si elle était parfaitement établie, la thèse monétariste, celle de Milton Friedman. Il y a quatre-vingts ans éclatait à New York le fameux krach d'octobre : c'est sans doute l'occasion de jeter un regard en arrière, sur le comportement de la Banque centrale américaine lors de la grande crise.

La Fed a-t-elle alors refusé de fournir des liquidités aux banques ? Rien dans les chiffres disponibles ne l'indique : les réserves que les banques détenaient auprès de la banque centrale ont connu des fluctuations, mais sont demeurées au-dessus des niveaux de l'année 1929. Ces réserves ont plongé, il est vrai, mais seulement après le début des crises bancaires européennes (mai 1931) et surtout après la chute de la livre anglaise, en septembre 1931. Un nouvel effondrement s'est produit après l'élection de Roosevelt, fin 1932. Dans les deux cas de figure, le dollar (qui repose alors sur l'or) est attaqué, et la Fed applique sa doctrine traditionnelle : priorité à la défense de l'étalon or. A chaque fois, en pleine crise, elle augmente son taux, avec les conséquences catastrophiques que l'on sait.

Au total, il n'y a pas eu de refus de la part de la Fed de fournir des liquidités aux banques, sauf quand cet objectif entrait en contradiction avec celui, prioritaire, de la défense de l'étalon or. On peut parfaitement contester cette priorité, mais il faut bien prendre conscience qu'alors on change complètement de terrain : on n'est plus sur celui de la gestion monétaire intérieure (qui était celui de Friedman), mais sur celui du système monétaire international (qui ne dépendait pas de la Fed).

La Fed de l'époque s'est-elle refusée à baisser suffisamment ses taux ? Le taux d'escompte de la Federal Reserve Bank of New York, qui avait grimpé jusqu'à 6%, redescend à 5% le 1er novembre 1929 et se retrouve à 1,5% le 8 mai 1931. Fallait-il aller encore plus bas ? On peut en discuter, mais il est difficile de dire que l'arme des taux n'a pas été utilisée lors de la grande dépression américaine.

La Fed de la grande crise a-t-elle laissé les banques tomber les unes après les autres ? C'est oublier que les banques membres du système n'étaient qu'une minorité. Les banques nationales en faisaient nécessairement partie, mais pas toutes les banques d'Etat, loin de là. Au 29 juin 1929, les "nonmember banks" représentaient 64,5% du nombre total de banques commerciales. Et ce sont précisément ces banques, hors système, qui ont été massivement suspendues. Sur la période 1930-1933, les "nonmember banks" ont représenté 71,5% du nombre total de banques suspendues. La Fed ne pouvait se sentir responsable du sort de ces institutions.

Reste le reproche essentiel de Friedman : avoir laissé la masse monétaire s'effondrer au total d'un tiers. Mais il s'agit de la masse monétaire nominale, en dollars courants. Or, la masse monétaire nécessaire est proportionnée au niveau des prix, et ceux-ci ont fortement baissé. Si donc nous calculons le volume de la monnaie disponible (à prix constants), nous voyons qu'il se situe au-dessus du niveau de 1929 d'un bout à l'autre de la dépression, et qu'il est ainsi amplement suffisant face à une activité économique fortement réduite.

Enfin, résultat de la grande dépression, les crises bancaires des années 1930 sont surtout le prolongement au sein de cette grande dépression d'une crise agraire (celle de 1920-1921) qui jette ses racines dans la guerre et l'après-guerre. Ainsi, sur la période 1930-1933, 83,8% de l'ensemble des banques suspendues l'ont été dans des zones rurales. 67% des banques suspendues de 1930 à 1933 étaient implantées dans des agglomérations de moins de 2.500 habitants. Forte chute des prix agraires et surendettement des exploitations débouchaient dès les années 1920 sur la faillite des fermiers. La Fed pouvait faire face à un problème de liquidité, mais certainement pas de solvabilité, et encore moins à une crise sectorielle profonde comme celle frappant l'agriculture américaine d'après-guerre.

Au total, le comportement de la Fed des années 1930 n'est pas celui qu'on dit. Quant au comportement de la Fed d'aujourd'hui, il est loin d'être aussi exemplaire qu'on le prétend. D'ailleurs, qu'il s'agisse de 1929, des temps présents ou de l'avenir, il est particulièrement dangereux de placer tous ses espoirs dans la capacité d'intervention judicieuse des institutions, Etats ou banques centrales. Mieux vaut prévenir que guérir. Le seul véritable moyen pour éviter les catastrophes économiques est d'éviter les crises elles-mêmes. Malheureusement, à considérer les mesures évoquées par le G20 de Pittsburgh, on n'en prend pas le chemin.

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Commentaire 1
à écrit le 15/02/2024 à 10:41
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A mon humble avis, vous n'osez pas dire que la FED était dirigée par des incompétents qui ont multiplié les erreurs....

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