Un prix élevé du carbone est de l'intérêt des entreprises

La réticence des gouvernements à s'engager à Copenhague sur une limitation ambitieuse des émissions de CO2 est une concession aux acteurs des secteurs industriels fortement dépendants du carbone. C'est pourtant par l'action des entreprises qui feront le pari de la croissance propre que l'on ira vers une économie "décarbonée". Pour cela, il est indispensable de garantir un prix futur suffisamment dissuasif pour le CO2.

A l'approche du sommet de Copenhague, on peut craindre que la perspective d'un accord contraignant de réduction des émissions de CO2 s'éloigne. Certes, les annonces chiffrées se multiplient. Les Etats-Unis ont proposé un objectif de diminution de 17% pour 2010 et de 42% pour 2030 par rapport aux émissions de 2005 alors que la Chine annonce une baisse de 40% par unité de PIB en 2020 toujours relativement à 2005. Néanmoins, de nombreux négociateurs font état de leur scepticisme quant à la possibilité d'arriver à des engagements fermes. Le scénario d'un accord politique de principe sans mise en place concrète d'un mécanisme international de régulation semble se profiler. Une des raisons de cette frivolité des responsables politiques est la crainte de faire supporter un coût trop important à leur industrie qui se traduirait par une perte de compétitivité dommageable pour la croissance.

En effet, pour que la réduction des émissions de CO2 soit effective, elle nécessite de faire payer aux entreprises le coût de leurs rejets de CO2, soit directement, sous forme d'une taxe carbone, soit indirectement, par l'achat de permis d'émissions. Elles devront s'acquitter du droit de brûler de l'énergie fossile (pétrole, charbon, gaz...), ce qui réduira leur profit, menacera leur compétitivité, voire leur pérennité. C'est en tout cas les arguments avancés par de nombreux industriels et des milieux d'affaires très réticents vis-à-vis de cette politique. Arguments auxquels sont sensibles les chefs d'Etat et de gouvernement.

Néanmoins, cette vision de court terme de l'impact négatif du prix du carbone sur les entreprises doit être relativisée par une approche à plus long terme. L'intérêt d'un signal prix conséquent pour le CO2 est de les amener à revoir leur mode de production, d'organisation et de pratique des affaires. De les orienter vers des technologies à faible intensité en carbone.

Dans une économie où l'efficacité carbone sera un facteur de création de valeur, l'avenir appartient aux entreprises qui sauront améliorer leur efficacité énergétique, innover en conséquence, adopter ou offrir des sources d'énergie propres, réduire le coût de leurs transports, rendre leurs sous-traitants également responsables de leur empreinte carbone. De nombreuses firmes ont déjà adapté leur stratégie. Elles ont intégré l'environnement en général et le changement climatique en particulier dans leur structure de gouvernance en adoptant des systèmes de gestion environnementale de type ISO 14001. Dans l'industrie automobile, de nombreux constructeurs ont investi pour développer l'alimentation électrique des voitures. Les fournisseurs d'électricité ont misé sur des sources d'énergies nouvelles peu émettrices de CO2 telles que les énergies marines marémotrices, hydroliennes, houlomotrices ou thermiques.

Ces stratégies sont coûteuses pour un rendement pour le moins incertain. Pour que ces initiatives vers une économie "décarbonée" soient récompensées et amplifiées, il faut de la part des pouvoirs publics des engagements forts sur le prix futur du carbone. Un accord contraignant chiffré et crédible à Copenhague aurait le mérite de garantir un prix futur significativement élevé pour le CO2. La réticence des gouvernements à s'engager sur une réglementation rigoureuse et ambitieuse des émissions de CO2 peut s'interpréter comme une faveur qu'ils concèdent aux acteurs des secteurs industriels fortement dépendants de ces émissions (énergie, automobile, aéronautique, infrastructures routières, métaux, ciment, etc...) au détriment des autres parties prenantes.

Les premiers ont des enjeux financiers majeurs, fortement concentrés (les secteurs précédemment cités comptent pour environ 40% du CAC 40) et sont bien organisés pour peser sur le débat public. Selon l'ONG Opensecrets.org, l'API, qui regroupe les entreprises du secteur pétrolier américaines, aurait dépensé plus de 5 millions de dollars en activités de lobby rien qu'en 2009 aux Etats-Unis. L'Organisation des transporteurs routiers européens milite activement contre la taxe carbone et pour une exemption de leur secteur en France.

En revanche, les citoyens qui pourraient potentiellement bénéficier d'une réglementation ambitieuse se font bien moins entendre. De même, les entreprises productrices ou utilisatrices de technologies à faible intensité en carbone ont, pour l'instant, une influence moindre. Certaines d'entre elles seront les leaders de l'économie "décarbonée" de demain, et compteront certainement pour une large fraction du CAC 40 dans vingt ans. On peut regretter qu'elles ne soient pas capables de faire entendre leur voix dès aujourd'hui dans le débat public.

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