Les non-dits juridiques de l'affaire EADS

La relaxe prononcée par la commission des sanctions de l'AMF ne constitue ni l'épilogue de l'affaire EADS, ni une réponse aux questions posées par l'obligation d'abstention de l'initié. En définitive, les dirigeants d'une entreprise sont soumis à une obligation d'abstention absolue. Mais ni la réglementation, ni les codes de bonne conduite n'imposent en France une telle obligation. Ce qui aboutit à de graves confusions.

Au terme de trois ans d'investigations, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a finalement rendu sa décision dans ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'affaire EADS, la plus délicate affaire de délit d'initié dont ait eu à connaître le gendarme boursier depuis sa création. Et pour cause ! Dix-sept dirigeants ? anciens et actuels ? d'EADS et d'Airbus soupçonnés d'opérations d'initiés pour avoir vendu massivement leurs actions avant que ne soient révélés les retards de construction de l'A380, l'un des projets industriels les plus ambitieux de la décennie. Une procédure d'enquête longue et controversée. Quelque 20.000 pièces de dossier. Des amendes record préconisées à l'encontre de sept dirigeants. En somme, une mission à haut risque pour l'AMF. Or, contre toute attente, la commission des sanctions a finalement mis hors de cause tous les protagonistes, en estimant que les retards portés à leur connaissance ne constituaient pas une information privilégiée. Force est de constater que la commission a statué en droit : il s'agit là en effet d'une simple application du principe fondamental selon lequel le manquement d'initié suppose la détention d'une information privilégiée. Pour autant, cette décision, si elle marque une étape importante, ne constitue pas l'épilogue de l'affaire EADS.

Outre les recours possibles, une instruction judiciaire est actuellement en cours au pôle financier de Paris. Ce cumul de procédures, particulier au droit français, s'explique par la nature hybride des opérations d'initiés : administrative (manquement) et pénale (délit). Aussi, le dénouement de l'affaire ne devrait-il pas intervenir avant plusieurs années. Au-delà, cette décision devrait accélérer la réforme du dispositif répressif de l'AMF, notamment via l'introduction du principe du contradictoire dans la phase d'enquête. Celle-ci, d'ailleurs, n'a pas manqué de le relever en annonçant, immédiatement après la publication de la décision, "des propositions concrètes pour améliorer et renforcer son dispositif répressif".

Sur le plan juridique, on peut toutefois regretter que l'AMF n'ait pas pris position sur l'étendue de l'obligation d'abstention de l'initié. Reposant sur le principe d'égalité d'information des acteurs de marché, cette obligation ? consacrée tant sur le plan pénal que sur le plan administratif ? est aujourd'hui quasi absolue. Selon l'AMF, il importe même peu que la décision de réaliser une opération ait été prise avant l'obtention d'une information privilégiée. Cette solution résulte d'une lecture stricte de la notion d'"utilisation" d'une information privilégiée figurant dans la directive abus de marché. Cette notion, diversement interprétée par les États membres, était pourtant au c?ur des débats de l'affaire EADS, la décision de vendre ayant été prise antérieurement à la connaissance des retards. Cependant, l'AMF choisit de ne pas prendre parti sur cette difficulté. Ce faisant, elle laisse le soin à la Cour de justice des communautés européennes ? récemment saisie d'une question préjudicielle ? de se prononcer sur ce point.

En définitive, l'initié reste soumis à une obligation d'abstention absolue. Sur quelles personnes pèse principalement cette obligation ? À l'évidence, il s'agit des dirigeants, ces derniers se trouvant, de par leurs fonctions, en situation d'initiés de façon quasi permanente. Cependant, en France, il est remarquable de constater que les dirigeants, bien qu'étant concernés au premier chef, ne saisissent pas toujours toute la rigueur de cette obligation d'abstention. Mais d'un autre côté, comment le pourraient-ils ? En effet, ni la réglementation, ni le code Afep-Medef, ni la plupart des règlements intérieurs des sociétés cotées n'imposent ou ne suggèrent d'interdictions absolues. Or, cette situation peut aboutir à de graves confusions. Par exemple, les fenêtres de tirs ? ces périodes pendant lesquelles les dirigeants sont autorisés à opérer sur leurs titres en raison des "fenêtres négatives" liées au calendrier de publication de la société ? ne sauraient constituer une absolution contre le risque de délit ou de manquement d'initié !

Afin de conjurer celui-ci, les dirigeants peuvent certes conclure des mandats discrétionnaires par lesquels ils donnent gestion de leurs titres à un tiers mais de tels mandats sont très critiqués lorsque des ordres sont passés à des périodes "opportunes". Une autre option consisterait à renforcer la sensibilisation des dirigeants à la problématique des opérations d'initiés. À cette fin, les règlements intérieurs pourraient prévoir une clause imposant aux dirigeants une obligation d'abstention absolue d'opérer sur leurs titres pendant la durée de leurs fonctions, sauf autorisation préalable du conseil d'administration. C'est au prix de ce type de garde-fou que les dirigeants s'épargneront le risque d'être exposés à de lourdes sanctions ainsi qu'aux foudres de leurs actionnaires et de l'opinion publique.
 

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