Les fantasmes de la chasse aux évadés fiscaux

Dans sa lutte contre l'évasion et la fraude fiscale, le ministre du Budget pourrait se remémorer les difficultés rencontrées par la Douane avec un listing de l'UBS il y a vingt ans. Toutes les procédures furent alors annulées, l'administration étant considérée en situation de recel de documents volés. La Cour de cassation avait rappelé l'exigence du principe de loyauté dans la recherche des preuves.

La chasse aux comptes bancaires en territoire étranger est une sorte de fantasme qui hante de manière chronique les couloirs de Bercy. Elle ne peut évidemment passer à la phase action qu'avec le feu vert du ministre du Budget. Peu ou prou, tous les titulaires de ce poste ont été sollicités mais l'observation des faits montre qu'ils ont su résister à la tentation. Car vingt ans en arrière, les choses avaient mal tourné alors que la France vivait les dernières heures du contrôle des changes.

Forte de la découverte en 1980 ? au cours d'une perquisition parfaitement légale ? d'un carnet contenant les noms de clients de la banque Paribas qui possédaient aussi un compte à la filiale Pargesa de Genève, la direction des Douanes avait su persuader son ministre de tutelle de l'importance des avoirs réfugiés à l'étranger et de la nécessité de les débusquer par des moyens moins avouables.

D'une investigation irréprochable qui permettait des poursuites en justice, on était passé progressivement au stade de l'exploitation intensive de fichiers soustraits à leurs établissements respectifs par des employés indélicats. C'est ainsi qu'on découvrit dès 1983, dans la presse française, que la Douane exploitait un fichier de 5.000 résidents français titulaires d'un compte à l'UBS de Lausanne. Les gros comptes eurent droit à une perquisition tandis que les "petits comptes" étaient simplement convoqués.

Lucide sur la provenance sulfureuse du listing acheté à deux informaticiens de l'UBS et qu'il avait d'ailleurs fallu faire décrypter par le service du chiffre de l'armée, la Douane préféra transiger avec le plus grand nombre de résidents qui devaient alors reconnaître l'infraction et produire les relevés. Mais enhardie par le succès de l'opération, elle poursuivit ensuite les récalcitrants en justice, assurée de surcroît d'une attitude compréhensive des parquets et des juges d'instructions.

Le consensus était alors favorable à la répression et les acteurs du jeu judiciaire, comme le juge Michau, peu regardants sur l'origine des preuves. Dans le même temps, les "informateurs" étaient rattrapés par la justice suisse qui les condamnait respectivement à trois et quatre ans de prison "pour vol, service de renseignements économiques et complicité de tentative de violation du secret bancaire". L'affaire alla jusqu'au tribunal fédéral dont la décision de condamnation fut publiée à Genève à "La Semaine Judiciaire" du 4 février 1986. Venant d'un État de droit, la condamnation suscita chez plusieurs juges et spécialement chez le juge Boizette un sursaut qui l'incita à solliciter l'annulation des procédures douanières fondées sur des documents volés. L'affaire fit grand bruit dans le monde judiciaire car elle plaçait une administration publique en situation de recel. Alors !

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