Une dette peut en cacher une autre

Par Bernard Marois  |   |  648  mots
Par Bernard Marois, président du Club Finance HEC.

La "dette publique" est devenue un thème très en vogue dans les médias. Or les analyses présentées sont souvent incomplètes.

Premier point : il est indispensable de prendre en compte l'endettement total d'un pays, c'est-à-dire à la fois sa dette publique et sa dette privée (entreprises et ménages). On constate alors qu'un pays comme les Etats-Unis est dans une situation plus délicate qu'on le prétend, avec une dette globale qui représente plus de 350% le PIB. La France souffre en revanche d'un endettement privé relativement modéré, ce qui, pour l'instant, atténue l'impact de l'augmentation rapide de sa dette publique. Sur ce point, il faut souligner que l'endettement public et l'endettement privé évoluent en principe en sens contraire.

En période de crise, l'Etat soutient l'économie nationale et s'endette alors que les agents privés s'efforcent de se désendetter et inversement en période de croissance. C'est la théorie car depuis une dizaine d'années, nous assistons à un endettement total en augmentation rapide dans la plupart des pays, quel que soit le cycle économique. C'est le sujet de préoccupation.

Deuxième point : il faut également considérer les contreparties mobilisables pour garantir et rembourser les emprunts. A ce titre, un pays tel que le Japon, dont la dette publique dépasse les 190% du PIB, peut s'appuyer sur une épargne domestique supérieure à 280% du PIB. De même, un État peut se désendetter en vendant certains de ses actifs. Enfin, la flexibilité (ou la rigidité) des dépenses publiques est un élément important de la réponse à l'endettement public. Le Canada avait réussi à diminuer sa dette de 30%, dans les années 1990, en coupant dans les dépenses publiques, ce qui avait permis de dégager des excédents budgétaires récurrents. De ce point de vue, la France est mal placée, dans la mesure où nous subissons des déficits budgétaires ininterrompus depuis quarante ans !

Enfin, troisième point significatif : la structure de la dette. Il n'est pas indifférent que celle-ci soit libellée en devises ou en monnaie locale. A cet égard, on peut citer le cas de l'Argentine tombée en faillite en 2001, parce que sa dette libellée en dollar avait plus que doublé suite à la dépréciation du peso. Inversement, la Grèce est indirectement protégée du fait que sa dette soit libellée en euro, monnaie pilotée par la Banque centrale européenne qui, de ce fait, ne peut rester indifférente à la situation de ce pays. Du même ordre d'idée, l'origine des créanciers - résidents ou non-résidents - est un autre facteur de discrimination. En effet, il est plus facile d'exercer des pressions sur des prêteurs domestiques que sur des étrangers.

Le fait que, par exemple, 70% de la dette américaine soit détenue par des non-résidents (essentiellement Chine, Japon et pays pétroliers) oblige les Etats-Unis à s'interroger sur les moyens de les fidéliser, notamment en évitant que le dollar continue à se déprécier. Les caractéristiques de l'endettement d'un pays vont donc influer sur les solutions de sortie de crise. En tant que membre de la zone euro, la Grèce sera amenée à obéir aux recommandations de Bruxelles pour freiner la hausse de son endettement. Dubai fera appel à son voisin plus fortuné, Abu Dhabi. Si cela ne suffit pas, il reste la solution FMI, mais au prix de contraintes parfois dures, comme la baisse des dépenses publiques ou la privatisation de l'économie.

Dans une perspective historique, nous abordons une période délicate. L'endettement de la plupart des Etats a régulièrement augmenté depuis trente ans Nous allons maintenant subir l'autre versant du "cycle" : le désendettement. Et il risque de durer longtemps.