Relations franco-russes  : Mistral gagnant  ?

La vente française des navires de guerre Mistral suscite des controverses tant en France qu'en Russie. Cette transaction, inédite, dépasse le cadre bilatéral sans dissiper les malentendus. Les deux pays ne donnent pas en effet le même contenu à leur "partenariat stratégique". Et sur un plan stratégique, cette vente sert de trompe-l'œil à la provincialisation des relations franco-russes.

La visite de Dmitri Medvedev intervient à un moment où la relation franco-russe change de nature. Cette relation se nourrit d'une histoire riche de succès et de désillusions. Au chapitre des succès : une multiplication par cinq des échanges commerciaux entre 2001 et 2008. Au chapitre des désillusions : l'enlisement du processus de Genève sur la Géorgie. Critique à l'égard de la Russie lors de son élection, Nicolas Sarkozy a repris le cours traditionnel de la diplomatie française : cultiver la relation avec Moscou pour peser en Europe (éventuellement au-delà) et soutenir politiquement les investisseurs.

Sa politique comporte cependant deux différences notables par rapport à celle de son prédécesseur : l'attention portée aux nouveaux membres de l'UE et le souci d'être entendu à Washington. Pour la France, la vente de navires de guerre Mistral marque incontestablement une nouvelle étape. Signe de son caractère sensible, elle polarise les positions. Pour ses partisans dans l'Hexagone, il serait incohérent d'exclure la coopération militaro-industrielle du "partenariat stratégique" que les autorités françaises et russes se plaisent à célébrer. Il s'agirait aussi de redessiner la relation Otan-Russie, confrontée à des enjeux moins européens que globaux (Afghanistan et Iran).

Moins glorieuse, mais décisive, cette vente permettrait enfin de faire travailler les chantiers de Saint-Nazaire. Pour ses opposants, cette vente constituerait une faute politique. Médiateur en août 2008 lors de la guerre de Géorgie, Paris armerait le belligérant le plus puissant, qui ne respecte pas les termes du cessez-le-feu. Cette vente inquiéterait en outre les pays de l'Otan, qui se sentent directement menacés par Moscou. Reste un argument utile aux deux camps : cette vente crée un précédent pour de futures exportations de matériels technologiquement plus sensibles.

Côté russe, cet achat n'est pas neutre. Le retour complet de la France dans l'Otan a conforté Moscou dans l'idée que l'autonomie stratégique européenne resterait un sujet théorique. Moscou s'efforce de promouvoir un traité de sécurité au moment où l'Otan élabore son nouveau concept stratégique. Les négociations actuelles avec Washington sont décisives pour la crédibilité de son arsenal nucléaire, car son indépendance reste l'alpha et l'oméga de sa politique. Or, ses défaillances opérationnelles en Géorgie ont écorné l'image de puissance émergente globale que les autorités russes véhiculent.

Elles indiquent également les niches capacitaires à pourvoir et le déclassement technologique de nombreuses unités. Acheter le Mistral contribue ainsi à moderniser l'outil militaire russe, actuellement traversé par une réforme profonde. C'est à la fois un message externe sur les ambitions russes et un message interne sur la détermination du tandem Medvedev-Poutine. Ce dernier vise une partie du complexe militaro-industriel et du haut-commandement pour lesquels modernisation et acquisition de systèmes d'armes à l'étranger sonnent la fin de privilèges.

Cette transaction dépasse le cadre bilatéral sans dissiper les malentendus. Les deux pays ne donnent pas le même contenu à leur "partenariat stratégique". Pour Paris, ce serait un moyen d'exprimer sa singularité au sein de l'Otan et d'orienter le cours de la relation Otan-Russie. Constatant le dédain américain et le mépris chinois, Paris cherche, sans doute encore inconsciemment, à instrumentaliser la relation avec Moscou pour continuer à être écouté à Washington et à Pékin. Pour Moscou, ce serait un moyen de renforcer son autonomie stratégique en améliorant de manière significative ses capacités de projection.

La Russie considère que les Européens sont en passe de décrocher militairement. L'enjeu immédiat n'est certainement pas une intégration militaire progressive avec eux, mais au contraire un effort constant et coûteux, au regard de son potentiel économique, pour entretenir une logique de puissance avec les Etats-Unis et la Chine. Sans se l'avouer ouvertement, la France et la Russie sentent bien la diminution de leur poids relatif respectif face à l'évolution des rapports de force internationaux. Sur le plan stratégique, le Mistral sert de trompe-l'oeil à la provincialisation progressive de leurs relations.

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Commentaire 1
à écrit le 02/03/2010 à 7:39
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L'analyse est juste. Il faudrait ajouter que la Russie considère qu'elle ne regagnera le statut de grande puissance que si elle arrive à étendre son hégémonie sur l'ensemble du continent européen: c'est-à-dire à dissoudre l'UE et éliminer l'OTAN. Ell...

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