Pénaliser les activités de marché

Par Jean Matouk, professeur des universités.

Presque tous les experts s'accordent à dire que la crise est venue d'une hypertrophie malsaine des activités de marché, des séquences folles de titrisation, des arbitrages traversant la "barrière des espèces" entre marchés de taux, de devises, de matières premières, et même de CO2. Seuls quelques thuriféraires nostalgiques des marchés parfaits continuent à affirmer que la crise est liée au peu de régulation financière qui restait en vigueur, notamment aux Etats-Unis.

Mais faut-il revenir à la séparation des activités bancaires, marchés d'un côté, dépôts et crédits d'un autre, comme le suggère le très respectable Paul Volcker ? Ou est-ce là une fausse bonne idée comme on l'affirmait dans ces mêmes colonnes il y a quinze jours ? Faut-il compter sur une abstinence volontaire de banquiers assagis, comme l'envisagent, semble-t-il, les dirigeants de nos banques mutualistes ? Ou faut-il que les entreprises s'organisent entre elles, dans de nouvelles coopératives de crédit, comme le proposent, dans le projet "Corporate Funding Association", trois anciens banquiers d'affaires appuyés par l'ancien directeur adjoint du Trésor, Sylvain de Forges.

Nous reviendrions alors, mais pour de grandes entreprises seulement, aux sources des Volksbanken allemandes puis Banques Populaires françaises, du XIXème siècle, quand, déjà, les banques capitalistes rechignaient au crédit d'entreprise. Bonne idée à creuser, à condition d'élargir le champ des entreprises concernées. Restant "entre soi", si l'on pousse l'idée à l'extrême, on laisserait alors, en quelque sorte, le risque ou le privilège des activités de marché aux banques vraiment capitalistes.

Toutes ces solutions ont leurs avantages, mais une autre existe, à la fois plus souple et plus radicale : se servir du ratio de solvabilité pour pénaliser les activités de marché et, le cas échéant en sens inverse, avantager la "banque classique". Ce ratio est de 8% aujourd'hui. Toutes les banques se vantaient de le dépasser avant la crise, caracolant entre 10% et 12%, sans d'ailleurs que la distinction au sein de ce ratio entre "vrais" fonds propres et "fonds propres complémentaires" ou "surcomplémentaires" soit tout à fait la même selon les diverses banques centrales, ni tout à fait fidèle aux principes initiaux des ratios Cooke et Mac Donough. Pourtant ces niveaux élevés du ratio de solvabilité furent insuffisants pour absorber les pertes sur marchés.

Ne serait-il donc pas judicieux d'élever ce ratio à 20% voire 25% sur les activités de marché, en le rendant éventuellement progressif par paliers selon le risque, notamment selon la "distance" entre véhicules de titrisation et risque initial ? A l'inverse, ne serait-il pas possible, actuellement, et pour faciliter la sortie de crise, de baisser ce ratio à 4% ou 5% sur le crédit classique. Les banques qui devraient consacrer plus de capital aux activités à risque en seraient dissuadées, les rendements à atteindre devenant prohibitifs. Les agents des organismes de tutelle ne seraient-ils pas capables de vérifier l'adéquation entre nature du risque, niveau de risque et ratios ? C'est faire bien peu de cas de leurs compétences. Le trading mathématique, qui opère à la milliseconde, et prend tous les opérateurs de vitesse, restera-t-il insoumis à tout ratio ? C'est, encore une fois, que les régulateurs ne voudront pas vraiment le vérifier.

Il est tout de même curieux que cette solution, encore une fois aussi souple qu'efficace, ne soit pas évoquée. Veut-on vraiment limiter l'ampleur des futures bulles, en elles-mêmes inévitables car propres au fonctionnement même des marchés financiers ? Ne serait-ce pas là, au demeurant, la meilleure voie pour limiter les bonis des traders ?

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Commentaire 1
à écrit le 17/03/2010 à 11:55
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Oui, bonne, très bonne idée... Seule manque la volonté politique, à croire que nos dirigeants ont des intérêts dans les banques concernées... Mais ne serait-ce pas le cas, en fait? Ce qui expliquerait ben des choses...

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