Le qui perd gagne des élections régionales

Par Christian Schmidt, professeur émérite à Paris-Dauphine.

Pour un observateur un peu rompu aux approches économiques, les élections régionales offrent un cas de figure presque parfait d'analyse stratégique. Si l'objectif de l'UMP était de remporter un maximum de sièges dans les conseils régionaux, ce parti pouvait soit opter pour une campagne de type national, soit strictement locale. Il pouvait, de même, chercher à rassembler le plus d'alliés potentiels par une stratégie d'absorption, proche de celle de l'intégration verticale en économie industrielle, ou par des alliances qui s'apparentent à des accords de coopération. Une organisation centralisée se prête mieux à une campagne nationale, tandis que la souplesse des alliances s'adapte plus aisément aux spécificités locales. Dans cette perspective, la stratégie d'absorption adoptée par le parti présidentiel dans le cadre d'une campagne initialement conçue sur un argumentaire national est donc cohérente.

La pertinence d'une stratégie s'apprécie toutefois en fonction des règles du jeu. Dans le cas des élections régionales, il s'agit d'un scrutin à deux tours qui favorise les stratégies d'alliances. Pourquoi alors les stratèges d'un grand parti ont-ils délibérément retenu une stratégie, certes cohérente, mais peu adapté à l'objectif affiché ?

Une première réponse serait que l'on sous-estime alors l'influence des informations fournies aux électeurs par les résultats du premier tour. L'effet dynamique de cette information pouvait, en effet, infléchir, si ce n'est même inverser, leurs choix du second tour. Une avance au premier tour du candidat de la majorité aurait pu changer les représentations que certains électeurs se faisaient initialement de la situation. Tout ceci est aujourd'hui bien connu des psychologues et théoriciens des jeux. Mais pour se révéler efficace, ces ressorts exigeaient un effet de surprise déclenché par une avance significative, ou, tout au moins, la manifestation d'un signe positif, dès le premier tour. On connaît la suite. Les résultats obtenus montrent que ce pari était, en réalité, bien risqué.

Une autre interprétation peut être proposée. La stratégie du parti de la majorité ne surprend que si son but effectivement poursuivi était de remporter ces élections. Elle devient plus lisible si le pouvoir visait un objectif différent. Supposons que l'objectif réel du parti de la majorité soit moins un résultat positif, peu probable dès le début de la campagne, que le changement des règles du jeu. La supériorité de la stratégie de l'absorption par rapport à une stratégie d'alliances devient aussitôt évidente. L'absence de réserve pour le second tour se transforme en avantage. Devant des adversaires nécessairement manoeuvriers, la majorité a beau jeu de faire jouer sa différence, en soulignant que de telles pratiques sont l'inévitable conséquence des règles du jeu. Sans l'existence d'un second tour à ces élections régionales, elles ne seraient tout simplement pas possibles. Il en irait nécessairement tout autrement si le scrutin n'avait qu'un seul tour. Mieux encore, la forte abstention fournit aux tenants d'une telle stratégie un argument supplémentaire.

Les plus rusés manoeuvriers ne sont peut-être pas ceux que l'on croit. Derrière l'enjeu des élections régionales, se profile l'enjeu, de moins en moins virtuel, de l'organisation de ces jeux. La réforme signifie précisément ici le changement de leurs règles. Le principal mérite de cette campagne régionale n'est-il pas, en définitive, d'avoir permis de le débusquer.

(dernier ouvrage paru : "Neuroéconomie", Editions Odile Jacob)

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