Où est passé l'enrichissement de la France des dix dernières années ?

Par Jean-Yves Lefevre, enseignant et dirigeant du cabinet de conseil en gestion de patrimoine Lefevre et Associés  |   |  738  mots
Une analyse de Jean-Yves Lefevre, enseignant et dirigeant du cabinet de conseil en gestion de patrimoine Lefevre et Associés

Les étrangers nous voient souvent comme un peuple qui a le c?ur sur la main et qui n'est jamais content : des râleurs sympathiques. Sur le sujet de la répartition des richesses par exemple, nous excellons (thème qui, culturellement, nous passionne bien plus que nos amis anglo-saxons ou asiatiques). Vocifération, mise en accusation, tantôt se sont les patrons les profiteurs, d'autres fois les salariés (si si : dans les années 80, la fonction publique enviait les salariés du privé). Aujourd'hui, c'est un peu différent.

Alors, que s'est-il vraiment passé en matière d'enrichissement durant ces dix dernières années ?  La thésaurisation a payé : l'immobilier a doublé, l'or a quadruplé. Mais par le travail, avons nous créé de la richesse ? Oui ! Nos efforts ont porté leurs fruits, puisque nous avons développé facialement notre PIB (Produit Intérieur Brut) de plus de 40 %. En réalité, si l'on corrige ce chiffre de l'inflation, le PIB n'a progressé que de 18 % sur la décennie. C'est mieux que rien.

Alors, la fameuse question - à qui a profité cette croissance - se pose légitimement. Est-ce aux travailleurs, est-ce aux actionnaires (les propriétaires d'entreprise qui, soit dit en passant, travaillent aussi parfois) ? En fait et contrairement à ce que l'on pense, le pouvoir d'achat des salariés français a évolué en moyenne de 15 % en 10 ans (source Insee).




Pour les actionnaires, si l'on prend comme référence les plus grandes entreprises françaises (celles du CAC 40), pour mesurer correctement l'enrichissement, il convient de regarder dans deux directions : celle des dividendes (les revenus) et celle de la valeur même des entreprises (la plus ou moins value).

Là, les actionnaires n'ont franchement pas été récompensés. La valeur des entreprises a perdu en moyenne 30 % (facialement) et 20 % si l'on considère les dividendes perçus. En fait, la crise boursière a détruit plus de 500 milliards d'euros, rien qu'en France. Il n'y a pas que les riches propriétaires d'entreprises qui sont concernés. Les nombreux épargnants français qui ont investis en bourse sont bien évidement aussi impactés.

Alors, la question reste posée : où est passé l'enrichissement des dix dernières années ?  Est-ce dans notre balance des paiements (c'est le résultat comptable de nos relations avec l'étranger) qui est chroniquement déficitaires ? Non ! Ce déficit ne représente que 0,02 % de notre PIB. Donc, si notre enrichissement ne s'est pas évaporé à l'étranger, c'est en interne qu'il nous faut chercher.

En réalité, c'est du coté de nos choix qu'il faut regarder. La double volonté de la société française d'être très organisée et de partager, a consommé une bonne partie de la croissance. Les prélèvements obligatoires (charges sociales et fiscales) ponctionnent pratiquement la moitié du PIB français (900 milliards sur les 1 900 milliards d'euros de PIB en 2009). Certes, par le biais de la redistribution, une partie est réinjectée dans l'économie, mais il est clair que nous payons là le prix de nos choix : celui d'être l'un des pays les plus administrés du monde et celui d'offrir une protection sociale parmi les plus élevée au monde.

En somme, en France, ce n'est pas « la pagaille » et on sait partager. Il est vrai que l'on sait aussi râler, mais souvent avec humour ! Et de l'humour, il va nous en falloir encore longtemps, puisque nous ne voulons rien réformer.

Alors, pour financer tout cela, nous travaillons, beaucoup : nous sommes l'un des pays du monde développé où l'on travaille le plus et de façon très productive. Mais cela ne suffit plus. La dette de la France se creuse (100 % de notre PIB). Simplement, n'oublions pas de prévenir nos enfants ! Après tout, il faut juste trouver les mots pour leur dire que nous émettons actuellement des emprunts d'Etat (des dettes) sur 50 ans, dans le but de maintenir nos valeurs : l'organisation, le partage et l'humour.

Pour les autres valeurs, comme par exemple celle qui consisterait à laisser à nos enfants une vie meilleure, comme l'on fait les générations passées, nous verrons plus tard.A moins que nous ayons un sursaut d'orgueil ; que nous acceptions de changer notre façon de penser « l'organisation de la Cité » et notre façon de partager, pour cesser de « cramer » le fruit de la croissance et même davantage.