Le déjeuner de Philippe Mabille avec Anton Brender, à l'Angle du Faubourg

Le "cas" grec, le pacte de stabilité et de croissance, la sortie de crise au menu d'un déjeuner avec le directeur des études économiques de Dexia Asset Management. Ancien chroniqueur à "La Tribune", auteur de plusieurs livres sur la globalisation financière et fin analyste des relations conflictuelles entre le marché et la politique.

Membre du Cercle des économistes, professeur-associé à Paris Dauphine, Anton Brender, qui a travaillé au Cepii puis à la CPR, dirige les études économique de Dexia Asset Management, filiale de gestion d'actifs du groupe franco-belge. Il figure parmi les spécialistes français de cette finance globalisée qui a mis les économies par terre. Il y a d'ailleurs consacré plusieurs livres, écrits avec sa collègue de Dexia AM, Florence Pisani. Les deux derniers, "Les déséquilibres financiers internationaux" et "La crise de la finance globalisée", publiés chez Repères, viennent d'être condensés et publiés par le CEPS, sous le titre « Global imbalances and the collapse of globalised finance ».

Pacte en deshérence

Je le retrouve au restaurant "L'angle du Faubourg", dans le triangle d'or parisien, pour un menu de crise. Auteur régulier de "papiers" dans les pages Opinion du journal, il me raconte qu'il y signait autrefois une chronique hebdomadaire. De retour des Etats-Unis, Anton Brender est préoccupé par la rapidité de la dégradation de la situation grecque. Pour l'auteur de "Face au marché, la politique" (2002), le poison vient d'abord de ce que "l'on n'a pas pris le Pacte de stabilité au sérieux". Certes, ce Pacte était imparfait, car "limité à une coordination passive, minimale" au lieu d'une "coordination active" des politiques budgétaires. Mais dés lors qu'il avait été signé, "il fallait le respecter", dans sa règle et dans son esprit. Or, au fil des ans, il est tombé en déshérence. Pour lui, le drame actuel de l'Europe vient de l'absence de mécanisme opérationnel de gestion des crises. C'est ce qu'il a expliqué la veille de notre déjeuner, mercredi, à Bruxelles, lors d'un colloque organisé par Confrontations Europe, de l'ancien député européen Philippe Herzog sur "la stabilité financière et la croissance". "On a créé de grands ensembles économiques interdépendants et globalisés, mais sans organiser en même temps les structures de gouvernance à même de gérer la complexité qui en résulte".

La Grèce tiendra-t-elle jusqu'au 9 mai ?

Le "cas" grec en est l'illustration typique : les marchés vivent en temps réel, là où les gouvernements européens ont chacun leur rythme... et leur calendrier électoral. "La question est de savoir si la Grèce tiendra jusqu'aux élections en Rhénanie du Nord-Westphalie, le 9 mai prochain alors que les taux d'intérêt sur sa dette flambent. Les marchés connaissent ces contraintes politiques, observent les dissensions qui en résultent et en jouent"... Pourtant, il est encore temps d'agir. "Face à de telles crises, il faut enrayer la spirale spéculative avant que ça ne devienne un tourbillon qui emporte tout", juge-t-il, rappelant le précédent de la crise du système monétaire européen de 1992-1993. L'Allemagne avait alors sauvé le franc mais pas la livre sterling. "Soros avait compris que la devise britannique ne serait pas soutenue par la Bundesbank et que, avec des ménages endettés à taux variable, la Banque d'Angleterre ne tiendrait pas longtemps seule la digue, en montant ses taux".

Bonnes dettes

Pour notre économiste, "il est des crises qui ne peuvent être enrayées sans une intervention massive des autorités qui ramène les marchés à la raison et au calme. La Fed vient de la faire en achetant pour plus de 1000 milliards de bonnes dettes". Le problème aujourd'hui est que nous ne disposons d'aucune autorité européenne en charge d'intervenir face aux marchés et habilitée à prendre un risque financier, explique-t-il. Pour aider effectivement la Grèce, il faut un accord des gouvernements et sans doute aussi un vote des Parlements, tout ceci est forcément long à obtenir (la mise sur pied du plan Paulson l'a montré aux Etats-Unis)...

Effet d'aubaine

Résumons : Pour Anton Brender, l'Europe doit s'adapter au temps des marchés si elle veut empêcher les spéculations de devenir auto-réalisatrices. Pourquoi ? Parce que l'euro crée des solidarités de fait entre les pays européens. La preuve, l'Allemagne (et la France) bénéficie(nt) du phénomène de "flight to quality" engendré par la crise grecque et empruntent à dix ans à des taux jamais connus, proches de 3%, 100 points de base en dessous de leur niveau d'il y a un an. Mais s'il peut paraître logique, sur le plan économique, de partager avec les Grecs une partie au moins de cet effet d'aubaine, sur le plan politique ce n'est pas facile à expliquer à des électeurs. "Comment un Allemand qui va partir à la retraite à 67 ans peut-il comprendre qu'il doit être solidaire d'un Grec qui peut le faire dix ans plus tôt ?".

Le défi de l'Europe

Une chose est sûre, explique Anton Brender, il faudra tirer les leçons de cette crise. Comment ? En dotant l'Europe d'une autorité habilitée à parler et éventuellement à agir face aux marchés financiers et en remplaçant le Pacte de stabilité par un accord auquel les pays adhéreront vraiment. "Tous les pays occidentaux vont devoir assurer la soutenabilité de leurs finances publiques". Pour la France, l'effort n'est pas hors de portée puisque selon ses calculs, il serait possible de stabiliser le niveau de la dette en 2015 en réduisant chaque année le déficit primaire de 0,5 point de PIB. "Tout le défi, c'est d'arriver à le faire sans compromettre la croissance", explique-t-il.

Au dessert, une bouffée d'optimisme : "la croissance mondiale est repartie. On fera 3% cette année aux Etats-Unis. La moitié dans la zone euro". Sauvés par le gong ? Pas complètement. "La fin de la crise, ce sera quand les dettes publiques seront stabilisées et que le marché du travail aura retrouvé un visage normal".

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