Le chantage au gaz russe est une chimère

Par Christian Wipperfürth, docteur et expert à l'institut de Düsseldorf de politique étrangère et de sécurité (Dias).

Il faut se rendre à l'évidence : sans le gaz russe, des millions de Français et d'Allemands grelotteraient de froid chaque hiver. Bien des pays européens, notamment l'Allemagne, recourent en outre massivement au gaz pour produire leur électricité. S'ils étaient contraints de limiter considérablement leur génération électrique, les répercussions négatives sur leurs voisins seraient considérables. La Russie couvre 70% des importations européennes de gaz, et l'extraction en mer du Nord est en recul, en raison d'une exploitation très intense. Mais la demande de gaz va augmenter de 50% au minimum d'ici à 2030.

Malgré la progression de ses exportations vers l'Europe, Gazprom ne sera pas en mesure de couvrir entièrement cette demande. Les pays fournisseurs d'Afrique et d'Asie centrale vont en profiter et la part de la Russie dans les importations européennes de gaz pourrait reculer à 50% d'ici à vingt ans. Les livraisons russes demeureront toutefois indispensables. Mais la Russie elle-même est dépendante de ses exportations vers l'Europe. Le secteur énergétique contribue à la moitié des recettes de l'Etat et à 20% du PIB. Nous avons besoin de gaz russe, mais la Russie a besoin de notre argent.

Pour autant, et malgré l'existence de contrats à long terme, la Russie ne serait-elle pas tentée de "fermer le robinet" à des fins politiques ? Elle possède après tout des réserves financières qui lui permettraient de compenser pendant deux ans le manque à gagner des exportations. En revanche, la France ou l'Allemagne ne pourraient remplacer le gaz russe que pendant quelques mois. D'autres pays sont encore plus vulnérables : on se souvient des Balkans transis de froid en janvier 2009 lorsque le passage du gaz par l'Ukraine fut interrompu. Sans compter que, à la différence des pays du Golfe, il n'est guère possible d'imposer une pression militaire sur la Russie. Les pays européens ne sont-ils pas alors conduits à une certaine complaisance vis-à-vis du Kremlin, avant même qu'il ait pu faire la preuve de sa capacité de nuisance ?

Une telle réflexion n'est pas concluante. D'abord parce que les actifs financiers de la Russie se trouvent majoritairement en Occident. Une crise pourrait lui en couper l'accès. Par ailleurs, les acheteurs européens ne prennent pas en compte le potentiel de chantage de la Russie. Sinon ils exigeraient une baisse notable des prix du gaz afin de couvrir les mesures coûteuses à prendre en cas d'interruption de la livraison. Par ailleurs, ni la Chine ni Israël n'ont montré de réticence vis-à-vis du gaz russe, preuve que ces pays le jugent fiable. Même les États baltes, si prompts à mettre en garde contre la Russie, ne cherchent guère à réduire une dépendance proche de 100% vis-à-vis du gaz russe. C'est que, en réalité, de tels efforts seraient économiquement insensés et qu'ils ne s'imposent pas sur le plan de la sécurité énergétique.

Certes, la diversification des sources d'achats de gaz est nécessaire, compte tenu de la hausse des besoins. Mais les mises en garde nerveuses contre la puissance énergétique de la Russie sont déplacées et nuisibles aux intérêts européens. La réalisation du pipeline Nabucco, qui veut transporter le gaz de la Caspienne en contournant la Russie, serait raisonnable si l'on parvenait à conclure suffisamment de contrats de livraison avec des producteurs. Mais malgré des années d'efforts, ce n'est pas le cas aujourd'hui. S'il était un jour construit, Nabucco ne pourrait couvrir que 10% des importations européennes. Certains de ses partisans veulent cependant donner l'impression que ce gazoduc offrirait une alternative au gaz russe. Leur but consiste à créer un environnement favorable à leurs propres intérêts. Mais alors la Russie, qui est dépendante de la fiabilité de ses transactions et de l'augmentation de ses exportations, pourrait, presque malgré elle, tourner davantage son attention vers les acheteurs de l'Asie orientale et leur concéder son gaz à bon marché - on voit déjà les signes de ce mouvement.

L'idéal serait, en réalité, de développer une interdépendance des systèmes énergétiques et des intérêts sur l'ensemble du continent, Russie comprise. Cela dépend de nous autres, Occidentaux, mais aussi d'une plus grande sécurité des investissements russes à l'Ouest.

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Commentaires 3
à écrit le 05/05/2010 à 11:29
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Tout est bon: l'article plus les commentaires! Mais il sont les autres, les méchants russophobes?

à écrit le 04/05/2010 à 13:11
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A maria - La nécessité de maintenir un semblant de pression médiatique à l?encontre la Fédération de Russie et cela, afin de régler des problèmes européens d'ordre intérieur.

à écrit le 04/05/2010 à 11:01
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Ceci est tellement évident qu'on se demande à quoi joue l'Europe avec sa politique agressive vis-à-vis de la russie. Enfin un article plein de bon sens.

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