Les dangers du "policy mix" européen

Le dérapage contrôlé se réalise en appuyant du pied droit sur le frein et sur l'accélérateur. Le "policy mix", ou couplage des politiques monétaire et budgétaire qui se met en place en Europe, s'apparente à cette technique. Si l'on veut éviter le platane, mieux vaut un bon conducteur, on en est loin !

En Europe, la politique monétaire est très accommodante : les taux d'intérêt à court terme sont au plus bas historique et la Banque centrale européenne vient d'inaugurer avec la crise grecque une politique de monétisation des dettes publiques, c'est-à-dire d'achats de titres sur le marché. Cette politique "non conventionnelle" et le plan de soutien de 750 milliards d'euros aux États surendettés étaient indispensables pour éviter la catastrophe d'attaques spéculatives et un effondrement en dominos des pays de la zone euro. On ne pouvait refaire l'erreur de la chute de Lehman Brothers. Cette politique aurait pu donner un peu de temps pour mener une politique d'austérité tolérable aux pays aux systèmes budgétaires défaillants (Grèce, Irlande, Portugal), permettre d'éviter de telles politiques aux pays où les difficultés sont conjoncturelles (Espagne, Italie), à ceux où la situation n'est pas critique (France) et d'appuyer un soutien de la demande en Allemagne.

Ce n'est pas ce qui est mis en oeuvre. L'Allemagne a exigé une politique budgétaire et des salaires déflationnistes. C'est aller dans le sens de la pente : la logique de compétition déflationniste est à l'oeuvre en Europe et le pays qui ne s'y soumet pas est sanctionné par le déficit de sa balance commerciale, il risque la crise de sa dette souveraine, et finalement d'être vassalisé. L'Europe est dans cette nasse ; s'y trouvent non seulement les pays directement affectés par la crise de la dette souveraine qui subissent la diminution des retraites, la baisse des salaires des fonctionnaires, la réduction des budgets sociaux et des indemnisations des chômeurs, mais à un moindre degré la France et, paradoxe suprême, l'Allemagne, meneur du jeu d'austérité.

Inflation de liquidités d'une part, déflation des revenus de l'autre. Mais ceci ne compense pas cela !

En effet, deux risques majeurs sont devant nous. Le premier est que ces politiques de déflation des revenus effondrent la consommation, par suite l'investissement. Peut-on compter sur les exportations ? Celles vis-à-vis du reste du monde, sans doute, et la baisse de l'euro s'apparente à la stratégie du "beggar-my-neighbour" (le "passe à ton voisin" le chômage des années 1930), et c'est ce qui inquiète les États-Unis. Mais le commerce extérieur des pays européens est avant tout intra-européen et nul ne pourra compter sur ses exportations vers des partenaires enlisés dans la récession. La crise va donc rebondir et le choc négatif de demande produire une contagion mondiale. Dans les années 1920, l'Angleterre a été étranglée par la déflation, elle ne s'en est pas remise. En 1935, Pierre Laval a mis en oeuvre la grande déflation budgétaire et elle s'est enfoncée dans la crise (ce qui a préparé la voie au Front populaire).

On risque de tomber de Charybde en Scylla. Le second écueil en effet est de diriger la masse de liquidités engendrées par la politique monétaire vers les actifs, d'où une nouvelle formation de bulles. La spéculation a fracturé le placard à pharmacie : la drogue risque d'être à nouveau mise à disposition de la finance et des spéculateurs. Jusqu'à une prochaine crise encore plus violente.

L'erreur est une question d'équilibre entre les canaux. Il faut que les liquidités, au lieu d'aller essentiellement vers les actifs et la spéculation, soient dirigées vers les rémunérations et l'investissement productif. Dans la situation présente de l'Europe où le "gagnant" est le pays qui baisse ses coûts au détriment de tous et de lui-même, ce rééquilibrage est difficile. Il faudrait pourtant tenter une échappée par le haut, par une croissance qui stimule les recettes budgétaires, une inflation à 4%. Cela supposerait un État européen démocratique pratiquant une politique de reflation des revenus jouable à cette échelle seulement. La coordination qui se met en place en est l'exact opposé : il ne s'agit que d'une police des revenus du travail et des dépenses publiques. Un tel État n'est pas pour demain, mais on peut espérer que la démocratie bloquera l'austérité généralisée et souhaiter que l'Allemagne coopère en soutenant la demande. C'est la seule façon d'éviter l'effondrement ou la stagnation de longue durée. Gouvernants européens, s'il le faut, vendez le Parthénon ou Versailles, mais unissez-vous pour éviter la déflation !

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Commentaire 1
à écrit le 27/05/2010 à 13:25
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une inflation à 4% c'est un crash sur le marché de la dette souveraine et un deficit qui devient immédiatement insoutenable.

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