Restructurons collectivement la dette publique européenne

Par Hubert de la Bruslerie, professeur à l'université Paris-Dauphine.

Une nouvelle Europe monétaire et financière est née en mai 2010. Le 3 mai, la BCE acceptait les obligations grecques en garantie collatérale d'opérations de crédit alors que ses règles lui interdisaient d'utiliser des actifs en dessous d'un niveau de notation minimum. Puis le 10 mai, le gouverneur de la BCE annonçait que la banque centrale allait racheter directement sur le marché obligataire de la dette des Etats membres. Les rachats de titres grecs, espagnols ou portugais se sont élevés à 35 milliards d'euros. Une manoeuvre totalement hétérodoxe.

C'est bien le signe d'une philosophie d'action nouvelle au niveau européen. La première disposition signifie que l'Europe monétaire sait se passer du tampon des agences de rating. La seconde vise à faire tendre, vers une sorte de moyenne, les taux des marchés obligataires des pays de la zone euro en y apportant le crédit de la BCE. De nombreux commentateurs allemands ne s'y sont pas trompés en le déplorant. Cela annonce une restructuration générale de l'endettement public et parapublic européen.

Les voies d'apurement sont simples : à défaut d'inflation, il n'y a que la restructuration, le moratoire ou la répudiation. Dans tous les cas de figure, cela se traduit par des pertes plus ou moins sévères ou immédiates pour les créanciers. On ne peut pas dans la conjoncture actuelle compter sur l'inflation. Dommage. A défaut, il faudrait restructurer une dette insoutenable : qui peut penser que les 110 milliards d'euros prêtés à la Grèce seront remboursés un jour, tels quels, au taux nominal de 5% ? Il en est de même des finances publiques des autres grands pays de la zone euro, hormis l'Allemagne. La double question est donc d'imaginer qui restructurera la dette publique européenne et comment le faire.

Traditionnellement, la restructuration s'opère par substitution d'une nouvelle créance de moindre valeur aux anciennes créances à rembourser. Elle est déjà à l'oeuvre : les retraites révisées à la baisse en sont l'illustration. Les retraites sont bien une créance de la population active actuelle sur le futur. En limitant les retraites, on réduit l'endettement des générations futures et donc les créances actuelles. Autre chantier de restructuration : les déficits cumulés des systèmes sociaux cumulés sous la forme de dettes à la Cades. Entre 2009 et 2011, le déficit cumulé de la Sécurité sociale est estimé à 87 milliards pour trois années. Pour apurer cette dette nouvelle, une seule solution : un nouveau transfert à la Cades avec un report de sa date d'extinction en 2028, voire 2032, et/ou une augmentation du taux de cotisation de la CRDS. Les nouveaux débiteurs sont les salariés de 2021 à 2032 qui paieront davantage. L'Etat aussi en ressort appauvri puisqu'il ne respectera pas sa parole initiale.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas revenir demain sur les conditions de remboursement de la dette publique ? C'est techniquement facile : au lieu de rembourser les OAT ou leurs autres équivalents de la zone euro par un pouvoir d'achat en euros correspondant au nominal de la créance, les investisseurs pourraient se voir rembourser par échange d'une autre créance d'un même nominal sur une très longue durée (30 ans) à un coupon plus faible, par exemple 2% au lieu de 4%. Une sortie en espèces serait possible mais avec une décote de 25% à 30%. Les investisseurs résidents des pays membres de la zone euro pourraient être frappés tous ensemble. C'est logique car le problème est un problème global d'endettement public de la zone euro. Les investisseurs étrangers se verront rembourser à la valeur nominale des créances. Dans un contexte de baisse de l'euro, la perte de change pour eux correspond à la baisse de valeur pour les épargnants européens.

Qui pourrait avoir la volonté politique d'assumer un tel apurement des finances publiques européennes ? On voit bien que l'ampleur de la tâche dépasse les gouvernements. C'est un vrai défi pour une Europe qui a appris à se construire essentiellement dans les crises et les épreuves. Certes l'agenda d'une restructuration des dettes publiques et parapubliques d'Etats impécunieux ne fait pas rêver les peuples. L'heure n'est cependant plus à rêver. C'est à un fonds européen d'apurement de la dette publique auquel il faut songer. La BCE, avec courage et imagination, a montré le chemin en acceptant d'intervenir pour acheter la dette publique (décotée) de grands pays européens endettés.

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