Quand la Chine ralentira

Par Jean-Paul Betbèze, chef économiste de Crédit Agricole SA.

Nous admirons la croissance chinoise : plus de 10% l'an désormais, 11,3% fin 2009, 11,9% au premier trimestre 2010, 10,3% au deuxième. Nous savons que la Chine est la deuxième puissance du monde, derrière les seuls États-Unis désormais. Ceci en retenant bien sûr le PIB total. Par tête, la situation est moins flatteuse : la Chine se trouve au 99e rang mondial, derrière l'Albanie, devant le Salvador. Les responsables chinois ne l'ignorent pas, mais chaque chose en son temps.

Car cette forte croissance change la donne planétaire. Elle fait monter les prix des métaux, des produits agricoles, du fret, du pétrole. Elle réchauffe la planète en réchauffant l'économie mondiale. Cette croissance inquiète aussi quand elle s'étiole et décélère à... 6,5% au deuxième trimestre 2009. Un tel chiffre quand les autres pays sont "en territoire négatif" est unique, sauf que la croissance chinoise fait alors figure de sauveur pour le monde et que les autorités nationales sont engagées dans un pacte de croissance implicite avec le peuple : croissance forte et parti unique. Récession plus crise politique en Chine ? Les autorités se mettent alors à soutenir l'économie : 590 milliards de dollars (12% du PIB) d'infrastructures, des prêts en hausse de 230% en 2009 et un encours de crédits bancaires en augmentation de 30%.

Mais c'est trop ! La Bourse de Shanghai augmente de 72% en 2009 et en perd près de 20% (seulement) depuis le début d'année. L'immobilier augmente de 24% en 2009 et d'encore 11% sur les cinq premiers mois de 2010. Il faut donc freiner ; le gouvernement durcit sa politique économique : hausse du ratio de réserves obligatoires des banques de 150 points de base entre janvier et mai, durcissement des conditions de financement pour l'acquisition d'un appartement de plus de 90 mètres carrés ou d'une résidence secondaire (en avril), sortie du lien fixe (peg) avec le dollar en juin...

La hausse du yuan est un moyen global, mais rien ne vient vraiment. Son taux de change pondéré est soigneusement contrôlé par les autorités qui n'osent pas trop appuyer sur l'accélérateur. La hausse des salaires est en route : près d'une trentaine d'administrations territoriales augmentent le salaire minimum d'au moins 20%. Mais elle passe surtout par les filiales des sociétés étrangères (Honda) ou par des sociétés chinoises qui travaillent pour des sociétés étrangères (Apple). Une hausse qui freine les exportations, c'est bon pour la réduction des déséquilibres mondiaux, mais cela soutient la demande interne. Il faut donc aller plus loin : la commission de régulation bancaire vient à deux reprises de demander aux banques de tester leur résistance en cas de chute des prix immobiliers dans les grandes villes :  60% pour un scénario "très noir". Des mesures viennent d'être prises pour surveiller les structures de financement des collectivités locales et pour restreindre leur endettement. Attendons les résultats.

Le problème est le manque de manoeuvrabilité de l'économie chinoise. Elle est difficile à conduire de manière graduelle, par le budget et plus encore par la monnaie. Les pays développés obéissent eux, pour ainsi dire, à la voix. Les discours de Bernanke et de Trichet agissent avant même la hausse des taux. Ce qui n'évite pas les excès, on le sait. Mais en général le "policy mix" fonctionne. Nous n'en sommes pas là en Chine, où un contrôle quantitatif du crédit se met en place quand il s'agit de... décélérer !

Cela alimente des inquiétudes des marchés financiers : certains experts craignent un ralentissement brutal fin 2010 après cet ensemble de mesures, au moment même où les États-Unis et l'Europe inquiètent pour leur demande interne. Elle est atone en Europe, tandis que l'Allemagne exporte (mais pour combien de temps ?) et faible aux États-Unis, si on regarde les statistiques d'emploi et de logement. Les dirigeants chinois ont su gérer les précédentes phases de surchauffe sans trop de heurts, cette fois ce sera important pour eux et nous. Quand la Chine ralentira, le monde regardera, car il faudra que tout cela se passe en douceur.

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