Face aux pays émergents et aux géants américains, il faut construire l'Europe des télécoms

Face aux mutations du monde, l'impératif industriel s'impose à l'Europe pour éviter le déclin. C'est le thème choisi pour les 6es Rencontres de l'entreprise européenne qui se dérouleront le 23 novembre prochain, en partenariat avec Roland Berger Strategy Consultants et HEC.

Les pays émergents étaient la principale réserve de croissance des grands opérateurs de télécommunications européens. Et les voilà en train de devenir l'une des premières sources de concurrence. Terrains de chasse privilégiés des Vodafone, France Télécome et autres Telefonica, l'Afrique, l'Inde ou l'Amérique du Sud disposent aujourd'hui de leurs propres mastodontes en télécommunications - des groupes comme l'indien Bharti Airtel ou le sud-africain MTN, qui puisent leur puissance financière de la taille et de la croissance démographique de leurs marchés d'origine, riches de plusieurs centaines de millions d'utilisateurs, pour pouvoir s'implanter dans d'autres pays voire sur d'autres continents. Et créer ainsi des passerelles « Sud-Sud » qui mettent totalement à l'écart les acteurs de l'hémisphère Nord jusque-là dominants.

Dans le passé, quelques petites « prises » éparses avaient permis de mesurer l'appétit grandissant de ces nouveaux monstres. Mais c'est le rachat, début avril 2010, de Zain Africa par l'indien Bharti Airtel qui a véritablement bousculé la polarité « Nord-Sud » des télécommunications mondiales.

D'une part, c'était la première fois qu'un opérateur indien achetait un acteur mondial. D'autre part, Bharti Airtel a devancé dans la dernière droite Vivendi. Et pas seulement pour une question de prix, même si le groupe de communication français n'était pas prêt à se montrer plus généreux que les 9 milliards de dollars mis sur la table par son concurrent indien. Bharti Airtel a aussi emporté Zain Africa parce que son modèle économique a prouvé son efficacité dans les marchés émergents, là où le nombre d'abonnés croît souvent de plusieurs millions par mois (plus de 20 millions rien qu'en Inde), mais là aussi où l'utilisateur de téléphone mobile ne consomme que quelques euros par mois (3 euros en moyenne en Inde), très loin des factures qui ont cours dans les pays développés. Résultat, pour pouvoir dégager un peu de marge, l'opérateur doit disposer de structures de coûts les plus légères possibles, par exemple en partageant avec d'autres opérateurs ses infrastructures (antennes, équipements...), et il doit proposer à ses clients des services utiles et bon marché. Les opérateurs en télécoms des pays émergents sont ainsi devenus des spécialistes des systèmes de micropaiement face à un secteur bancaire déficient ou quasi inexistant.

Dans ce contexte, les opérateurs occidentaux peuvent-ils encore rivaliser ? Mais encore : les opérateurs ont-ils vraiment intérêt à riposter frontalement face à ces nouveaux géants au risque d'entraîner une surchauffe des prix sur les quelques cibles encore disponibles dans les pays émergents ? La nouvelle puissance des opérateurs télécoms du Sud, mais aussi de ceux qui règnent aux États-Unis, montre en effet à quel point la taille du marché local est primordiale. Or, en Europe, aucun groupe de télécoms n'a encore réussi à devenir véritablement paneuropéen.

Vodafone est très avancé mais reste cantonné au mobile sur un marché mêlant de plus en plus fixe et mobile. Avancé, Telefonica l'est aussi, mais l'espagnol reste minoritaire chez Telecom Italia et n'a jamais passé les Pyrénées. Enfin, France Télécomn'est ni en Italie ni en Allemagne. Impossible d'afficher dans ces conditions la même base de clientèle que les Indiens, les Africains ou les Américains et dégager, comme eux, les économies d'échelle qui en découlent.

Des tentatives ont bien eu lieu dans le passé. Mais les liens croisés entre France Télécom et Deutsche Telekom n'ont pas résisté à l'éclatement de la crise Internet. Et si les deux groupes ont bien rapproché en 2010 leurs filiales britanniques, l'expérience reste isolée. La construction européenne est un concept en panne alors que les opérateurs européens auraient intérêt à relancer une forme de coopération pour créer une riposte concurrentielle crédible.

La réflexion pourrait même aller au-delà des télécoms et impliquer l'ensemble de la filière, depuis les moyens de communication jusqu'aux groupes de médias. Car, à terme, c'est l'industrie européenne des technologies tout entière qui risque de se trouver prise en étau entre les géants émergents des télécoms et les monstres américains de l'Internet.

 

 

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