Les routes du commerce et des idées

Par Jacques Barraux, journaliste.
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La géographie du monde change sous nos yeux. Spectacle fascinant qui mériterait chaque soir une séquence revigorante du journal télévisé, ce qui soulèverait peut-être le voile noir des amertumes hexagonales. L'actualité se nourrit aussi de la chronique d'un monde qui commence. Un théâtre ouvert, qui donne à la Vieille Europe l'occasion de revenir dans le grand jeu de l'économie monde quand beaucoup la voient condamnée au déclin et à l'impuissance. Chaque jour quelque part, un pion se déplace sur l'échiquier de la planète, ouvrant du même coup un espace de mouvement. Deux exemples : les circuits de l'échange et la production du savoir.

Les mers, les fleuves, les ports. La grande stratégie se focalise sur les routes du commerce mondial. Le grand sujet du moment, c'est l'océan Indien. Depuis de longues décennies, l'océan Atlantique et l'océan Pacifique sont les deux grands axes de l'échange et de la compétition entre les États-Unis, l'Europe et l'Asie. La montée en puissance des pays de l'Asie du Sud et les intérêts particuliers de la Chine réveillent aujourd'hui l'axe Chine-Europe méditerranéenne qui a tant marqué l'histoire du monde, depuis l'Antiquité jusqu'à la Renaissance.

En ce moment, la Chine participe à la construction ou à la modernisation de six grands ports tout au long d'une ligne de côtes allant du détroit d'Ormuz à la mer de Chine. L'administration Bush appelait cela le « collier de perles ». Un collier qui va du Pakistan à la Birmanie et qui entoure l'ensemble du sous-continent indien. Cela n'enchante pas les dirigeants de l'Inde, mais la Chine assure - plus ou moins sincèrement - n'avoir qu'un seul souci : celui de nouer des alliances commerciales afin de sécuriser ses approvisionnements de pétrole et de matières premières en provenance du Moyen-Orient et de l'Afrique. Une zone du monde à proximité d'une Union européenne qui elle aussi modernise ses ports a des intérêts à défendre, des alliances à réactiver et des susceptibilités froissées à guérir, en Turquie, en Afrique ou ailleurs.

La triade de la science et de la technologie se défait peu à peu. Elle réunissait l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon. En 2000, elle contrôlait 95 % des dépenses de recherche et développement dans le monde. Cette année elle en assure encore 75 %, mais tout s'accélère depuis la crise de 2008 : tassement de l'investissement d'un côté, accélération de l'autre. La Chine est tout naturellement à la tête du contre-pouvoir avec ses 25 millions d'étudiants et ses 1.700 universités.

Cet éclatement du directoire de la science n'est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour l'Europe dans la mesure où il la libère de son complexe vis-à-vis des grandes institutions américaines. Elle lui offre une occasion de rebondir en s'inscrivant dans la grande tendance du moment : la multiplication des accords de partenariats avec les réseaux de chercheurs d'Asie-Pacifique : Chine, Inde, Corée du Sud, Singapour, Australie. En 2010 dans le monde, environ 7 millions de personnes ont des activités de R&D (dont 60 % dans l'industrie) et elles se partagent 1.100 milliards de dollars de budget (deux fois plus qu'en 2000). Les États-Unis assurent le tiers des dépenses, l'Union européenne, 23 % (dont l'Allemagne 6,3 % et la France 3,7 %). Déjà 35 % des publications sont le fruit de collaborations internationales. La carte du monde des pôles de savoir s'enrichit des croisements entre centres de recherche nationaux ou « expatriés ». L'entrée en piste de jeunes nations qui n'ont pas la prétention de produire des prix Nobel fait passer un courant d'air frais. Pour la France, qui vit les premiers moments de sa réforme de l'université et du CNRS, c'est, espérons-le, l'occasion d'un déclic salutaire.

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