Euro ou 35 heures, il faut choisir

Par Philippe Mabille, rédacteur en chef et éditorialiste à La Tribune.
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"Les 35 heures, c'est une réévaluation de fait, qui a abouti depuis dix ans à une déflation française. Ou on sort de l'euro, ou on sort des 35 heures, mais on ne peut pas avoir les deux." Dans un entretien au Monde, cette semaine, Gérard Longuet, candidat déçu à un poste de ministre de l'Industrie, a mis le doigt sur un dilemme qui agite les rangs de la droite et du patronat depuis les lois Aubry.

Pure provocation idéologique de la part d'un hiérarque ultralibéral déçu du sarkozysme ? Peut-être mais pas seulement. La compatibilité de l'euro et des 35 heures était déjà âprement débattue par les économistes à la charnière de l'an 2000, lorsque Lionel Jospin décida, contre toute attente (patronale), de généraliser la réduction du temps de travail, un choix que la France est le seul pays à avoir fait, même si en réalité la durée annuelle du travail y est supérieure à celle de l'Allemagne.

La réponse, à l'époque, avait été que, oui, les 35 heures étaient compatibles avec l'euro parce que les gains de productivité et les créations d'emplois espérés feraient plus qu'en compenser les coûts. Et, de fait, c'est ce qui s'est passé, dans un premier temps : avec un euro "français" qui valait les premières années moins de 1 dollar, la vie était belle, et Dominique Strauss-Kahn - l'initiateur des 35 heures dans le programme socialiste (le ferait-il aujourd'hui ?) - un grand ministre de l'Économie. De ce monde keynésien, nous avons le souvenir émerveillé d'une croissance de 3 à 4% l'an, de rêves de plein-emploi et de dette maîtrisée.

A l'aube des années 2010, l'euro "allemand" à 1,30 pour un dollar rend ce rêve inaccessible. Le ver était dans le fruit dès le début : pour rendre possible le miracle des 35 heures sans baisses des salaires, donc payées 39 heures, l'Etat a subventionné le travail en accordant aux entreprises de monstrueux allégements de charges. Résultat : 22 milliards d'euros par an de dépenses publiques à la charge des contribuables, qui en outre jouent comme une trappe à bas salaires et smicardisent la France. Un poison insidieux dont il faudrait sortir, mais comment ?

L'appartenance à l'euro impose-t-elle une sortie par le bas, vers les 39 heures payées 35 (à l'exemple de Bosch) ? Cela ne ferait qu'aggraver la déflation par les salaires. Le gel du Smic depuis trois ans va dans ce sens. Du coup, le monde du travail ressent comme une trahison la promesse du "travailler plus pour gagner plus" formulée en 2007 par Nicolas Sarkozy.

La bonne solution serait-elle alors une sortie par le haut, avec les 39 heures payées 39 ? Des souplesses ont été apportées par la loi Bertrand en 2008 mais au prix d'une majoration de 25% des heures supplémentaires et d'un coût budgétaire important (la loi Tepa les exonère d'impôts et de charges). Les grandes entreprises ne se sont guère engouffrées dans la brèche, préférant l'acquis de flexibilité apporté par l'annualisation du temps de travail. En réalité, ce sujet est surtout un problème de PME, où l'on observe un mouvement de dénonciation des accords 35 heures pour retrouver des marges de manoeuvre. Mais dans la plupart des cas, leur situation fragile ne leur permet guère de compenser aux salariés la perte des jours de RTT, sinon par des avantages extra-salariaux.

Pourtant, pour relancer la consommation, il faudra un jour ou l'autre augmenter les salaires. Un euro géré "à l'allemande" renvoie ce choix à l'après-crise, qui n'est pas pour demain. Si seuls les pays qui auront fait des sacrifices salariaux "à l'allemande" pourront partager les fruits de la croissance retrouvée, la crise de l'euro n'est pas près de finir... Gérard Longuet n'a donc pas tort. Enoncée plus brutalement, sa question devient : faut-il renoncer d'abord aux 35 heures avant d'espérer une hypothétique hausse des salaires ? Renoncer à l'euro en revanche ne changerait pas grand-chose car ce que l'on gagnerait d'un côté serait mangé de l'autre par l'inflation.

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