Le spectre du "Silicon désert"

Soixante-sept chefs d'entreprise du Net français signent une tribune pour s'opposer à la taxe sur les investissements publicitaires en ligne proposée par le sénateur Philippe Marini.

Bien loin de la « Silicon Valley » à la française dont on pourrait rêver, c'est un "Silicon Désert" que risque de préparer la taxation supplémentaire des investissements publicitaires sur Internet votée par le Sénat. Tout le monde sait qu'il est essentiel d'aider les activités émergentes. Et pourtant, la France trouverait le moyen de faire exception et de devenir le seul pays au monde à compromettre sa propre compétitivité. Mieux, le Sénat vient d'innover en inventant la taxe à tirer dans les coins. Suivons donc le raisonnement sophistiqué de l'inventeur de cette taxe. Un : je veux taxer Amazon, Apple, eBay, Facebook, Google, Microsoft, Yahoo, etc. Deux : je constate que c'est une question avant tout européenne et que je ne peux la régler depuis la France. Trois : Donc, je taxe l'annonceur et pas les géants américains. Quatre : comme disait l'aîné des Volfoni dans "les Tontons Flingueurs", "je sais, c'est injuste mais ça soulage...". Le plus beau de l'histoire, c'est que l'aveu de cette carabistouille transparaît des débats en séance publique. Il en résulte que la taxe en plus d'être cinématographiquement référencée est économiquement absurde et certainement inconstitutionnelle.

Car, et c'est le pire de cette taxe Volfoni, un tel dispositif ne serait rien d'autre que "perdant-perdant". Il va, en effet, frapper tout à la fois les innovateurs du Web, les internautes et la vitalité économique française ! Mieux, une telle taxation nuirait en priorité à ceux que l'on imaginerait plutôt devoir aider et défendre : les entreprises françaises par rapport à leurs consoeurs étrangères et les plus faibles par rapport aux plus puissantes. Ce sont en effet les moins puissants - les entreprises françaises - qui seront le plus touchés par une taxe qui semble modeste vu de l'extérieur mais qui constitue une bonne partie de la marge de ces entreprises... quand marge il y a ! On vise les géants américains et ce sont les petits français qu'on fauche.

Perdants, les vendeurs d'espace publicitaire sur le Web. Une telle taxe ferait mécaniquement baisser les recettes des acteurs français installés en France et retarderait d'autant la date à laquelle ils peuvent espérer trouver leur point d'équilibre. Quand on sait la fragilité de ces entreprises émergentes pour lesquelles la publicité est souvent l'unique ressource, c'est condamner beaucoup de ces start-up qui ont pourtant plus besoin d'incubateurs que de fossoyeurs.

Perdants, les internautes, qui seraient ainsi privés de bien des innovations et des services proposés par les jeunes pousses condamnées par une taxation unique et inique. Perdantes, les entreprises françaises et en particulier les PME et les TPE en mal d'expression numérique. En ne portant que sur les annonceurs fiscalement domiciliés en France, cette taxe dissuadera ceux qui n'ont pas la possibilité de délocaliser leurs achats d'espace ou qui ne disposent que de budgets limités. Donc les moins puissantes, celles pour lesquelles Internet est souvent le seul média possible pour développer leur prospection commerciale. Perdante, la vitalité économique de la France, qui souffrirait par la délocalisation d'acteurs qui iront trouver ailleurs des conditions de développement plus favorables et par la perte de compétitivité des entreprises basées en France, dont les investissements publicitaires sur Internet seraient alourdis par rapport à ceux de leurs concurrents étrangers. Pourtant, nul n'ignore que ces investissements sont clés pour conquérir de nouveaux marchés à l'international. Et tout le monde sait le retard français des PME quant à l'usage du numérique.

Bref, une telle taxation risquerait de faire rater à la France le train de l'avenir puisque tous les experts en conviennent, Internet peut à lui seul apporter à un pays jusqu'à un point de croissance par an. Ce serait un gâchis d'autant plus incroyable que la France a la chance d'être aujourd'hui plutôt en pointe dans le développement du Web 2.0. À l'heure où la France prend la présidence du G8 et du G20, empêchons cette absurde taxation et tournons-nous vraiment vers le futur. Suivons l'exemple de certains de nos voisins européens qui, telle la Grande-Bretagne, investissent sur les technologies de l'information. Il serait grand temps que la France réfléchisse réellement à créer un espace économique favorable aux nouvelles technologies de l'information. À moins que le rapatriement du numérique à Bercy ait signifié son rattachement au budget et non à l'industrie...

Cet appel est signé par 67 entrepreneurs français, dont : Cédric Tournay, président de Dailymotion, Pierre Kosciusco- Morizet, président de PriceMinister et de l'Association de l'économie numérique (Acsel), Pierre Chappaz, président de Wikio, Marie-Laure Sauty de Chalon, présidente de AuFeminin, Giuseppe de Martino, président de l'Association des services Internet communautaires (Asic), Grégoire Lassalle, président d'Allociné... Retrouvez la liste des complète sur Latribune.fr et Lasic.fr

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