L'inévitable éclatement de l'euro

Sans union politique, l'union monétaire est irréalisable entre les démocraties. L'idée que des réformes structurelles pourraient sauver la zone euro est illusoire. L'éclatement est la seule solution réaliste pour reconstruire l'union sur des bases plus saines.
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Quand un plan de secours conjoint des pays de la zone euro et du FMI a sauvé la Grèce de la faillite en mai dernier, il était évident que l'opération n'apporterait qu'un répit momentané. Maintenant un domino supplémentaire est tombé. Avec les difficultés de l'Irlande qui menacent de s'étendre au Portugal, à l'Espagne et même à l'Italie, le moment est venu de se poser la question de la viabilité de l'union monétaire européenne.

Ces mots ne me viennent pas facilement, car je ne suis pas un eurosceptique. Contrairement à d'autres, je croyais que la zone euro s'insérait parfaitement dans un projet européen de grande ampleur. L'Europe a eu la malchance d'être frappée par la pire crise financière depuis les années 1930 alors qu'elle n'est qu'à mi-chemin de son processus d'intégration : trop loin pour éviter les déséquilibres commerciaux ; pas assez pour gérer les crises.

Aux États-Unis, lorsqu'une banque du Texas est en manque de liquidité, la Réserve fédérale à Washington peut intervenir. Si cette banque est jugée insolvable, la Federal Deposit Insurance rembourse les déposants. En cas de banqueroute, la loi fédérale et les tribunaux permettent de répondre rapidement aux demandes des créanciers, ceci sans tenir compte des frontières entre les États. Quel que soit le résultat, une dette privée ne va pas être à la charge d'un État (si ce n'est exceptionnellement du gouvernement fédéral) et ne menace pas ses finances. Un État n'a pas le droit d'abroger une dette à l'égard d'un créancier d'un autre État et rien ne l'incite à le faire (étant donné l'aide qu'il obtient du gouvernement fédéral). Aussi, même au pire d'une crise financière, si leur bilan est sain, les banques peuvent continuer à emprunter, libres de tout risque souverain lié à l'État dans lequel elles sont. Tout cela se passe naturellement, sans négociations longues et conflictuelles entre les gouverneurs des États et le gouvernement fédéral, sans l'aide du FMI et sans que soit remise en question l'existence des États-Unis en tant qu'entité politique et économique.

Aussi le véritable problème en Europe n'est pas le surendettement de l'Espagne ou de l'Irlande ou le poids de la dette espagnole ou irlandaise sur le bilan des banques européennes. Qui se préoccupe du déficit des comptes courants de la Floride ? Non, le véritable problème est l'absence d'institutions paneuropéennes qui seraient nécessaires au bon fonctionnement d'un marché financier intégré. Il y a défaut d'institutions politiques adéquates au centre. L'UE nous a appris une précieuse leçon au cours des dernières décennies : premièrement, l'intégration financière exige la stabilité entre les devises nationales ; deuxièmement, éliminer le risque lié aux taux de change exige que l'abandon des devises nationales se fasse simultanément ; et maintenant la troisième leçon : sans union politique, l'union monétaire est irréalisable entre des démocraties.

On pouvait s'attendre à ce qu'il faille du temps pour parvenir à l'union politique. Il est facile de critiquer les dirigeants européens pour leur manque de leadership, mais ne sous-estimons pas la difficulté de la tâche à laquelle les États européens se sont attelés. La meilleure analogie est l'expérience historique de l'Amérique dans sa construction d'une république fédérale. Ainsi que le montrent la longue lutte américaine pour le "droit des États" et la guerre de Sécession, la création d'une union politique à partir d'un ensemble d'entités indépendantes est un processus lent et chaotique.

Les États défendent naturellement leur souveraineté. Pire encore, l'union économique elle-même peut alimenter les nationalismes et menacer l'intégration politique. Elle exerce une pression sur les institutions de chaque pays (par exemple sur les systèmes de protection sociale), engendre l'hostilité à l'encontre des étrangers et rend plus probables et plus coûteuses les crises financières d'origine extérieure. Malheureusement il est peut-être déjà trop tard pour la zone euro. L'Irlande et les pays du sud de l'Union doivent réduire le fardeau de leur dette et doper simultanément leur compétitivité économique. Comment pourraient-ils y parvenir tout en restant dans la zone euro ?

Les plans de sauvetage de la Grèce et de l'Irlande ne sont que des palliatifs : ils ne diminuent pas l'endettement, ils n'ont pas arrêté la contagion, et l'austérité budgétaire qu'ils imposent retarde la reprise économique. L'idée que des réformes structurelles et une réforme du marché du travail permettront un retour rapide de la croissance est illusoire. La restructuration de la dette est inévitable. Même si les Allemands et les autres créanciers acceptent une restructuration - non pas à partir de 2013 comme l'a demandé la chancelière Angela Merkel, mais dès maintenant -, il reste le problème de la restauration de la compétitivité des pays en déficit, notamment ceux du sud de l'Europe. L'appartenance à la même zone monétaire que l'Allemagne va condamner ces pays à des années de déflation, de chômage et d'instabilité politique sur le plan intérieur. La sortie de la zone euro pourrait être la seule solution réaliste pour y échapper. L'éclatement de la zone euro ne la condamnerait pas définitivement. Des pays pourront s'unir, et le faire avec crédibilité, quand les conditions budgétaires, réglementaires et politiques seront réunies. Pour le moment, la zone euro en est au point où un divorce à l'amiable est peut-être préférable à des années de déclin économique et de mésentente politique.

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