Sortir de l'euro, c'est sortir de l'Europe

Par Philippe Mabille, rédacteur en chef et éditorialiste à La Tribune.
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C'est donc reparti. La crise de l'euro, qui est d'abord la crise de l'économie européenne, engendre de nouveau un flot d'attaques sur la légitimité de la monnaie unique. En Allemagne, les déclarations de Hans-Olaf Henkel, ancien président du patronat, disant que son engagement passé en faveur de l'union monétaire est "la principale erreur de jugement de sa vie professionnelle" apporte de l'eau au moulin du parti anti-euro naissant face auquel se débat Angela Merkel. En France, les partisans d'un retour au franc haussent le ton, aux deux extrêmes de l'échiquier politique. Les souverainistes, tel Nicolas Dupont-Aignan, voient revenir leur heure de gloire, sur le mode du "on vous l'avait bien dit", prédisant un éclatement de la zone euro. À tous ceux qui semblent tentés par cette aventure, conseillons donc la relecture du traité de l'Union européenne, adopté démocratiquement par l'ensemble des États membres. Dans son article 3 alinéa 4, il est écrit noir sur blanc une réalité institutionnelle qu'il serait utile de bien garder en mémoire. "L'Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l'euro." En d'autres termes, l'euro est la monnaie de l'Union européenne, tout comme le dollar est la monnaie des États-Unis. Soyons encore plus précis : cela veut dire que l'euro est non seulement la monnaie des 322 millions d'habitants des seize pays qui l'ont déjà adopté, mais aussi a vocation à devenir celle de l'ensemble des 27 pays de l'Union, y compris, ne leur en déplaise, du Royaume-Uni, du Danemark et de la Suède, qui ont refusé de rejoindre l'union monétaire. Le Royaume-Uni est le seul à disposer pour cela d'une dérogation permanente.

Si intégrer l'euro était si peu attractif, pourquoi donc l'Estonie rejoint-elle la zone au 1er janvier prochain ? Tous les autres récents Etats membres envisagent de faire de même. Bien évidemment, les atermoiements allemands autour du soutien à l'euro pourraient contrecarrer ce mouvement d'adhésion. Tous les scénarios plus ou moins farfelus de sortie par le haut (de l'Allemagne) ou par le bas (de la Grèce) alimentent un courant d'incertitudes contre lequel il est difficile d'apporter des arguments raisonnables.

À l'évidence, la zone euro n'a aucune chance de tenir si les pays les plus fragiles demeurent punis par des taux d'intérêt prohibitifs qui les acculent à la faillite. Mais a-t-on bien analysé les conséquences d'une sortie de l'euro ? Outre que, économiquement, elle se traduirait par la ruine du pays en question (ce qui aurait un coût indirect pour tous les autres) et celle de ses créanciers (en quelle monnaie seront-ils payés ?), techniquement, elle n'est pas prévue par le traité. La seule possibilité est celle d'une sortie de l'Union européenne elle-même. Article 50 alinéa 1 : "Tout État membre peut décider de se retirer de l'Union." Il lui suffit de notifier son intention au Conseil européen et d'en négocier les modalités.

Mais cela veut aussi dire que "les traités cessent d'être applicables à l'État concerné à partir de la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait" (ou dans un délai de deux ans sauf si le Conseil européen décide de les prolonger). Même si la crise nous a habitués à réviser beaucoup de certitudes - et ce n'est sans doute pas fini -, on imagine difficilement un tel échec politique dans le processus d'intégration de l'Europe, d'autant que le premier départ entraînera une telle débâcle sur les marchés qu'il entraînera nécessairement celui des autres. L'Allemagne ne semble pas encore prête à assumer une telle responsabilité. Angela Merkel vient de le reconnaître en affirmant qu' "on ne laissera tomber personne". Cette solidarité ne sera pas gratuite, on s'en doute, mais laisse escompter qu'au pied du mur le processus politique l'emportera toujours sur les fantasmes des marchés. L'Union européenne et la BCE sont encore loin d'avoir épuisé toutes leurs cartouches pour convaincre de l'irréversibilité de la monnaie unique : eurobonds, budget européen, 2011 sera, par force ou par nécessité, celle de nouvelles avancées dans la marche vers une Europe politique.

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