Les crises, Shakespeare et les 35 heures

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris.
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Qu'une crise financière importante éclate et l'on est à peu près certain de lire des titres comme "Le spectre de 1929". Que la croissance redémarre, dix-huit à vingt-quatre mois plus tard, et arrive le temps du non moins classique "spectre de l'inflation". Faites le test sur votre moteur de recherche, vous verrez, la séquence 2008-2011 n'échappe pas à la règle.

Chère à Shakespeare (dans "Hamlet", "Macbeth", "Richard III"...), la figure du spectre fait toujours recette. Pourquoi ? Parce qu'elle mêle menace et incertitude, fantasme et réalité : quelque chose de très grave peut arriver mais qu'on n'en est pas sûr, ce qui donne une idée de la fiabilité des prédictions en matière économique. Les plus intrépides découvriront en outre que ces spectres revêtent les traits de deux économistes fameux : John Maynard Keynes et Milton Friedman. Les mânes du premier sont invoqués quand une récession sévère menace et justifient des politiques budgétaires et monétaires expansionnistes... lesquelles sont ensuite accusées de causer des bulles inflationnistes, et l'on s'empresse alors de relire le second. Vu de France, en tout cas à gauche, c'est un peu la lutte ancestrale entre le Bien et le Mal, "Highlander" version Wall Street.

Bien sûr la réalité ne saurait être aussi simple, et moult économistes brillants tentent si ce n'est de réconcilier, tout du moins de nuancer et d'élargir les théories, mais on est encore loin du Graal. Reste que la configuration du monde depuis 2009 est assez inédite : les puissances émergentes continuent d'émerger, dévorant une quantité croissante de matières premières et alimentaires dont les prix flambent, tandis que de ce côté-ci du monde, on conjugue chômage élevé et croissance molle.

De fait, la menace de spirale inflationniste est limitée, nous ne sommes plus au temps de l'indexation des salaires, mais la hausse des prix et des prélèvements ampute le budget des ménages. Dans notre pays, où la consommation demeure un moteur essentiel, cela risque de peser sur la croissance, car il est peu probable que le taux d'épargne baisse. Aussi est-il urgent de relancer les autres moteurs, investissement et exportations, en un mot, travailler sur notre compétitivité, et singulièrement celle des PME et ETI.

Comment les inciter à être plus innovantes, plus audacieuses, à investir en recherche et en marketing pour conquérir la bouillante économie mondiale plutôt que de faire pas cher pour séduire un marché domestique atone ? Comment passer d'une économie low-cost où marges réduites riment avec bas salaires et faible qualification, à une économie de pointe ? Cette question, multidimensionnelle, est critique pour l'avenir. Les modalités de redynamisation du tissu économique, social et humain du pays devraient être au coeur des prochaines échéances électorales.

Malheureusement, on n'en prend pas le chemin, si l'on doit continuer à discuter... des 35 heures ! Certes, accroître un peu la durée du travail avec une contrepartie salariale permettrait d'améliorer le pouvoir d'achat et surtout de réduire le coût, pour l'Etat, des allé- gements de charges sur les heures supplémentaires. Mais au-delà, on trouvera peu d'acteurs pour défendre sérieusement que la compétitivité française se joue entièrement sur le temps de travail.

Réduire le débat à cette seule dimension, c'est l'assurance que nous continuerons à stagner. Mais la France adore les symboles et n'aime rien plus que les batailles rhétoriques, car elle y est plus à l'aise que sur les questions économiques. En la matière, elle fluctue entre dirigisme et libéralisme, sans vraiment trancher ni assumer ses choix - au point que "libéral" demeure ici un mot tabou. "Voilà bien les Français : ils tournent à tout vent !", fait dire Shakespeare à Jeanne d'Arc dans "Henry VI". On aimerait qu'ils cessent.

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