La prochaine révolution marchande

Par Jacques Barraux, journaliste.
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Exit Michael Douglas et ses "Wall Street 1 et 2". Bienvenue à James Stewart dans "The Shop around the Corner", exquise et lumineuse leçon de commerce dispensée par le "professeur" Ernst Lubitsch. Après le temps de la finance, le temps du marketing. On déplace des meubles en ce moment dans les QG de multinationales. Les génies du chiffre sont priés de partager un peu d'espace avec les génies de la marque et du produit. Les financiers sont jugés un peu courts pour embrasser le foisonnement des désirs et des attentes de celui à qui Internet redonne une part de pouvoir réel : le client. L'imagination financière donne le meilleur d'elle-même quand elle conserve un lien avec le monde réel et évite de basculer dans la pure abstraction. À l'inverse, l'imagination marketing se déploie utilement quand elle plonge dans le vide, oublie le monde existant et s'aventure sur des terres vierges, balisées plus tard par les comptables et les investisseurs.

Dans les états-majors occidentaux - la grande distribution, les Procter, les General Electric, les Unilever, les Nestlé -, on se veut attentif aux signes avant-coureurs d'un craquement sans lien avec la crise financière. Un moment attendu qui marquera l'entrée dans une phase nouvelle de la relation entreprise-consommateur avec la fin de la préhistoire d'Internet et la conversion des masses aux pratiques consuméristes. Tout converge : l'avènement de la "démocratie" Internet, l'alignement des classes moyennes des pays "émergents" sur le comportement des consommateurs occidentaux, la distillation des thèmes de l'économie verte dans les programmes de droite comme de gauche.

D'où l'envie juvénile de refaire le monde et de revenir aux fondamentaux du marché (du latin "merx-mercis", la marchandise) et de la marque (du germanique "marka", pour le signe, le blason, la référence). Une envie de réinventer l'hôtel, la maison, le mobile, la cuisine, l'automobile ou le salon de coiffure. Quand Procter & Gamble dialogue en direct avec les adolescentes par le biais du site Beinggirl.com ; quand Cisco utilise myPlaNetCisco pour comprendre les motivations des nouvelles générations de développeurs ou quand American Express sonde les créateurs d'entreprises à travers son Open Forum, tous s'inscrivent dans une démarche qui prélude à un renversement des méthodes de construction de l'offre.

Où finit l'industrie, où commence le service ? La question a cessé depuis longtemps de se poser. L'entreprise industrielle fuit l'enfer des "commodities" et vend "l'usage" d'un produit tangible en l'accompagnant de services ou "d'applications" à la manière d'Apple ou de Samsung. L'entreprise de service - un voyage en Eurostar, un concert à Pleyel, une consultation à l'hôpital Pompidou - fait oublier son caractère intangible en jonglant sur l'image, les procédures, le filet électronique ou les rituels d'accueil. Mais chacun sent bien qu'il faudra élargir le spectre et renouer un à un les fils qui unissent l'entreprise à son client. "À la base de toute réflexion marketing, explique Pierre Eiglier, auteur de la Logique Services (*), il y a une question toute simple : comment obtenir la satisfaction du client ? La réponse dépend immuablement de quatre facteurs : la vraie connaissance du client ; un processus codifié de la relation de service ; une attitude positive du personnel ; des signes de reconnaissance adressés au client qui concré- tise son achat." Les marchands du souk d'Alep ou du bazar de Téhéran satisfont depuis toujours aux quatre critères. Leur art de l'échange d'égal à égal est-il transposable à l'échelle industrielle et planétaire ? Ce sera tout l'enjeu de la première révolution marchande de l'ère Internet.

 

(*) "La Logique Services. Marketing et stratégies", sous la direction de Pierre Eiglier. Éditions Economica.

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