L'avenir encore incertain des grandes banques

Face aux nouvelles contraintes prudentielles, les banques internationales devront chercher de nouveaux gisements de profitabilité en réduisant leurs coûts dans les pays industrialisés et en misant sur leur développement dans les pays émergents.
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La crise financière et les nouvelles régulations devaient sonner la fin des beaux jours de la City et de Wall Street. "La crise ! Quelle cris" s'interroge aujourd'hui la presse anglo-saxonne, (presque) indignée par le montant astronomique des bonus qui seront versés ce trimestre. Rien ne semble donc changer au royaume de la finance ? Et pourtant, rien ne sera tout à fait comme avant. Coincées par l'adoption de mesures réglementaires contraignantes, scrutées par des investisseurs méfiants et conscientes d'une chute inévitable de leur rentabilité, les grandes banques internationales n'ont d'autre choix que d'engager des changements radicaux dans leurs modèles pour limiter les dégâts. Dans le Financial Times, Bill Winters, l'ancien codirigeant de JP Morgan, résume ainsi la situation : "Les banques les mieux gérées seront capables de dégager une rentabilité des fonds propres de 13 %, à comparer avec une moyenne historique de 20 à 25 %. Les banques moyennes devront se contenter de 9 à 10 % et les plus faibles d'un niveau bien en deçà." Dans ces conditions, tout l'enjeu, explique Colm Kelleher, copatron de la banque d'investissement de Morgan Stanley, "est de trouver un modèle dont le profil de rentabilité soit accepté par les investisseurs". C'est en effet un défi majeur à l'heure où les besoins en capitaux du secteur sont faramineux : quelque 600 milliards d'euros selon les régulateurs du Comité de Bâle. Les banques sont donc contraintes de réduire leurs coûts, de réorienter leurs activités et de viser de nouveaux horizons.

De tous les métiers de la banque, c'est bien évidemment la banque d'investissement, et surtout les activités de marché (80 % des revenus de la branche), qui sera la plus fortement bouleversée. Chacun a fait son deuil d'une relance du marché de la titrisation, comme il est illusoire de miser sur un marché de la dette d'avant-crise, avec les mêmes effets de levier. De même, la réglementation va fortement obérer la rentabilité des produits structurés, un métier à forte valeur ajoutée de plus en plus déserté et les produits dérivés, plus ou moins encadrés, ne seront pas aussi profitables. Enfin, l'interdiction aux États-Unis du trading "pour compte propre", l'activité la plus lucrative, va également fortement peser sur les résultats. Déjà, Morgan Stanley et Goldman Sachs préparent la vente de ces activités à leurs propres salariés, sans préciser toutefois la nature des liens qui subsisteront. Plus de capital, moins de revenus, l'équation va vite se résoudre par un renchérissement du crédit, une réduction des effectifs et une nouvelle course à la taille, déjà bien engagée depuis trois ans. Après les supermarchés financiers, voici donc l'ère des "mégabanques", seules capables d'assurer, à des coûts compétitifs, une production de masse de produits dérivés. Seules quelques banques pourront prétendre à ce nouveau statut, ce qui augure d'une nouvelle vague de concentration.

Les pays émergents représentent l'autre gisement sur lequel les grands acteurs fondent leurs espoirs. Le réveil est peut-être tardif - à l'exception de quelques banques - mais le constat est sans appel : le business se fait "ailleurs" qu'en Occident, comme en témoignent les récentes statistiques de fusions et acquisitions ou d'introduction en Bourse. De fait, les banques internationales rêvent de jouer auprès des grandes entreprises émergentes le rôle qu'elles ont joué dans les années 1970 et 1980 auprès des entreprises occidentales pour les aider à devenir des multinationales. Mieux, elles se verraient bien prendre une part prépondérante à la modernisation de marchés financiers encore embryonnaires dans les pays émergents afin d'y développer de nouvelles salles de marché, dont le champ d'activité devrait être moins contraint qu'en Europe ou aux États-Unis. La perspective de titriser des cartes de crédit au Brésil ou de développer un marché hypothécaire en Chine a de quoi en effet susciter des convoitises. Mais la tâche ne sera pas facile. Car il faudra tout d'abord s'implanter localement, condition indispensable pour assurer les métiers de banque d'investissement. Les banques commencent à mettre l'accent, dans leur organisation matricielle, sur les zones géographiques, notamment les pays émergents et à nouer des partenariats, comme JP Morgan en Chine dans le domaine du courtage. Mais ces ambitions risquent de se heurter aux banques locales, déjà puissantes et protégées par des États soucieux de créer leurs propres "champions" bancaires. Le renouveau de l'industrie financière prendra donc du temps et il se fera au seul profit des pays émergents. Ce qui laissera sans doute un goût amer aux gouvernements occidentaux qui n'ont pas ménagé leurs efforts pour sauver le secteur bancaire.

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