Inflation et révolutions

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris.
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Les événements dramatiques qui viennent de se dérouler en Tunisie, mais aussi en Algérie et, en 2010, dans quelques villes chinoises, nous rappellent que l'économie n'est pas qu'un corpus de notions abstraites, objet de spéculations intellectuelles, mais bien la représentation de faits humains par essence, et politiques par effet.

Dans ces pays, le niveau de vie moyen, mesuré en PIB/habitant, n'atteint encore qu'un dixième du nôtre. Surtout, la répartition des richesses, mesurée par l'indice Gini - du nom du statisticien italien qui l'a défini au début du siècle dernier - y est significativement plus inégalitaire que dans les pays développés, les champions, si l'on ose dire, étant le Brésil et l'Afrique du Sud.

De ce fait, une fraction considérable de la population dispose de moyens de subsistance extrêmement réduits, la nourriture absorbant la quasi-totalité du revenu disponible - par comparaison, le poids moyen de l'alimentation dans le budget d'un ménage français se situe entre 10 % et 15 %. Qu'une forte augmentation du prix des denrées de base se produise et ce sont les besoins les plus élémentaires de ces populations qui sont menacés.

La flambée des cours des matières premières et alimentaires, entretenue par les aléas climatiques, l'accroissement de la demande et les politiques monétaires expansionnistes peuvent donc bousculer sérieusement l'ordre social. Ce n'est pas nouveau, on se contentera de signaler, dans notre histoire, la guerre des farines qui souleva le nord de la France en 1775 suite à une augmentation brutale des prix du grain, préfigurant la marche des femmes sur Versailles une quinzaine d'années plus tard, pour aller chercher « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » (le couple royal et le dauphin). La hausse des prix n'est pas la seule cause, mais assurément un détonateur puissant. Le gouvernement algérien l'a bien compris qui vient de baisser les taxes sur l'huile et le sucre.

Cela nous ramène aux deux stratégies de "Quantitative Easing" (QE) en cours dans le monde. Celle, récente, des États-Unis, et l'autre, plus ancienne et non désignée comme telle, de la Chine. Car, comme le soulignait récemment et non sans ironie Peter Morici, économiste à l'université du Maryland, la parité fixe du yuan fait que, pour chaque dollar encaissé, la Banque de Chine crée une quantité constante de yuans, sans aucun mécanisme d'ajustement automatique. Plus la Chine exporte, plus elle crée de monnaie, ce qui, joint à un système bancaire inefficace, est inflationniste. Clairement, la politique de la Fed inclut aussi un objectif stratégique, forcer les Chinois à réévaluer, ce qu'ils seront peut-être forcés de faire... si en interne la hausse des prix des produits de base se poursuivait au point de porter la population à ébullition.

Aux adeptes du QE, on soulignera qu'inonder les marchés de monnaie, c'est aussi contribuer à faire des matières premières des actifs financiers, et à causer des phénomènes d'anticipation chez les producteurs - tentés d'attendre la hausse - créant la pénurie. Jeu particulièrement malsain. Voilà encore, sans jeu de mots, du pain sur la planche pour notre super-héros national. Le président du G20, qui dit aborder le sujet avec ambition et réalisme, va devoir surtout se concentrer sur le second terme. L'accueil, amical dans la forme mais inflexible sur le fond, que lui a réservé le président Obama démontre que l'on parlera peut-être au G20 d'une hypothétique nouvelle monnaie internationale... tout en constatant la position inexpugnable du dollar.

La rencontre Obama-Hu Jintao cette semaine à Washington prend en revanche une envergure qui rappelle celle de Nixon à Mao en 1972, à cela près que celle-ci sera tendue, les points de divergence ou de conflit ne manquant pas. Là se joue peut-être l'avenir du monde.

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