L'Europe doit gagner la bataille de l'investissement

Par Jean-François Jamet et Guillaume Klossa, porte-parole et président d'EuropaNova.

Face à la crise de la dette que traversent plusieurs pays européens, l'accent a été mis par les chefs d'Etat sur des politiques d'austérité visant à réduire les déficits. Pourtant, l'inquiétude reste de mise. Une partie de cette inquiétude naît du scepticisme quant à la capacité de l'Europe à générer de la croissance malgré l'austérité budgétaire, croissance pourtant nécessaire pour créer les emplois et les revenus qui alimenteront les recettes fiscales. Or, les sommets européens récents ont peu servi à discuter des politiques de croissance. C'est une erreur et l'Union européenne doit y remédier sans délai, notamment en se dotant d'une stratégie d'investissement.

C'est en effet l'investissement qui doit constituer le coeur de la politique européenne de croissance pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'investissement d'aujourd'hui conditionne l'emploi de demain ainsi que les gains de productivité, c'est-à-dire in fine la compétitivité et le pouvoir d'achat. Or le taux d'investissement, c'est-à-dire la part du PIB consacré à l'investissement productif, n'a cessé de reculer ces dernières années dans l'Union européenne : il y est passé de 23,4% en 1990 à 18,3% aujourd'hui, alors que, dans le même temps, il augmentait dans les pays émergents, passant de 25,6% à 30,8%. Plusieurs facteurs expliquent ce recul. Les bulles immobilières qu'ont connues de nombreux pays européens ont détourné une partie de l'épargne de l'investissement productif, la pierre apparaissant plus sûre et rémunératrice. D'autre part, la forte croissance des pays émergents pousse les multinationales à y réinvestir leurs bénéfices plutôt qu'en Europe.

L'investissement est aussi une priorité parce qu'il est la variable macroéconomique qui a le plus souffert de la crise. Seuls quelques pays ? notamment l'Allemagne ? ont vu l'investissement revenir aux niveaux d'avant la crise. L'expérience des ajustements structurels du FMI montre également que les politiques d'austérité peuvent avoir des effets pervers si elles tuent l'investissement, qui est souvent la première dépense à être réduite. Autrement dit, même si c'est politiquement difficile, l'effort doit prendre la forme d'une réduction des dépenses courantes et non d'une diminution de l'investissement public.

Dans le contexte de déclin démographique de l'Europe, la croissance ne peut venir que de l'investissement dans les infrastructures, les compétences et les technologies nouvelles. Le secteur public a un rôle à y jouer soit directement (par exemple pour financer l'entretien et le développement des infrastructures de transport ou d'énergie), soit indirectement (en créant un environnement favorable à l'investissement, par exemple pour le capital-risque et la R&D). Ce rôle suppose néanmoins un contrôle rigoureux de la "qualité" de l'investissement et doit s'accompagner de réformes structurelles qui limitent les logiques de rente.

Cet effort d'investissement doit être mené à tous les niveaux de décision. La France en a déjà fait une priorité nationale au travers du grand emprunt. Au niveau européen, plusieurs initiatives pourraient être prises utilement. Tout d'abord, surveiller le taux d'investissement, s'assurer que la part de l'investissement ne diminue pas dans la dépense publique et que les programmes d'austérité épargnent les dépenses d'investissement. Ensuite accroître les capacités européennes d'investissements en mobilisant le budget communautaire (au travers des fonds de compétitivité et de cohésion ? qui doivent pouvoir être débloqués plus rapidement qu'actuellement ? et de la création d'emprunts européens), les prêts de la Banque européenne d'investissement ou encore les partenariats public-privé. La stabilisation du taux de change de l'euro vis-à-vis des monnaies américaine et chinoise doit également être un objectif pour éviter de donner des incitations à délocaliser. Une solution pour cela est d'encourager la Chine à adosser et réévaluer sa monnaie contre un panier de devises incluant l'euro plutôt que contre le seul dollar, ce qui l'amènera en outre - le mouvement est en réalité déjà commencé - à investir une partie de ces réserves dans la zone euro.

Les Etats membres, la France et l'Allemagne notamment, se sont enfermés en 2010 dans un faux débat entre soutien de la consommation et stratégie d'exportation. En réalité, dans une économie ouverte, peu importe qui achète. L'important est d'être compétitif et pour cela, l'Europe a besoin de relancer l'investissement et d'en faire sa priorité. C'est le meilleur moyen d'assurer l'emploi, les revenus et les recettes fiscales de demain.

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