Quand la Fed provoque le désordre économique mondial

Par Patrick Artus Directeur des études économiques de Natixis
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La Réserve fédérale a mis en place en novembre 2010 une politique monétaire de « quantitative easing » qui consiste à injecter de la liquidité dans l'économie en échange de l'achat d'obligations du Trésor américain, ce pour environ 100 milliards de dollars chaque mois. Il s'agit d'une opération particulière de la politique monétaire. D'habitude, la banque centrale achète des actifs financiers (dont les Treasuries) aux banques, donc accroît la liquidité des banques, ce qui permet normalement aux banques de distribuer davantage de crédit. Avec le « quantitative easing », elle achète des Treasuries sur les marchés financiers, c'est-à-dire qu'elle fournit de la liquidité à tous les vendeurs : banques, fonds de pension, sociétés d'assurances, individus. Tous les investisseurs deviennent riches en liquidité (« cash rich »).

Parallèlement, à la fin de 2010, l'administration Obama et le Congrès ont décidé de mettre en place pour 2011 et 2012 une politique budgétaire très expansionniste, liée essentiellement à des baisses d'impôts des ménages et à des hausses de transferts aux ménages. Alors que les pays européens vont réduire rapidement leurs déficits publics, les États-Unis vont maintenir le leur autour de 9,5 % du produit intérieur brut. Le premier effet du « quantitative easing » a été d'éviter que cette annonce et la perspective d'une forte hausse de la dette publique aux États-Unis ne fassent monter les taux d'intérêt sur le dollar. En effet, les déficits publics des États-Unis sont « monétisés ». Ceci signifie que les titres publics (Treasuries) émis pour financer le déficit public n'ont pas à être détenus par des investisseurs privés, mais sont achetés par les banques centrales (contre création monétaire). Puisque les investisseurs privés n'ont pas à accepter de détenir davantage d'obligations du Trésor, les taux d'intérêt à long terme n'augmentent pas malgré l'énorme déficit public.

La monétisation est faite d'abord par la Réserve fédérale, on l'a vu, directement par les opérations de « quantitative easing ». Elle émane aussi des banques centrales des pays émergents et des pays exportateurs de pétrole. En effet, une partie de la liquidité supplémentaire injectée par la Réserve fédérale est investie en actifs des pays émergents, essentiellement en actions. Le « quantitative easing » a ainsi fait apparaître des flux de capitaux très importants vers les pays émergents (150 milliards de dollars par mois en moyenne). Pour éviter que ces flux de capitaux ne conduisent à une forte appréciation de leurs monnaies vis-à-vis du dollar, les banques centrales des pays émergents sont forcées d'absorber ces flux de capitaux dans leurs réserves de change, c'est-à-dire d'acheter des dollars en créant leur propre monnaie ; les dollars ainsi achetés servent ensuite en grande partie à acheter des Treasuries.

 

On voit donc bien le « doublement du quantitative easing » ; non seulement il consiste à ce que la Fed crée de la monnaie et achète des Treasuries, mais il force les banques centrales des pays émergents à faire la même chose. À cause du « quantitative easing » aux États-Unis, la création monétaire mondiale est donc considérable. Elle ne conduit pas à la hausse des prix des biens et services « normaux » : le chômage est élevé, le taux d'utilisation des capacités de production est faible, dans les pays de l'OCDE les coûts salariaux diminuent, les ménages et les entreprises se désendettent.

La liquidité ainsi créée par l'ensemble des banques centrales sert essentiellement à alimenter la demande d'actifs : actions des pays émergents, on l'a vu plus haut ; immobilier dans certains pays (Hong Kong, Singapour, Chine, France...) ; et surtout matières premières : pétrole, métaux précieux (or, argent, platine), métaux industriels (cuivre, plomb, étain, zinc...), coton, matières premières alimentaires (blé, maïs, sucre...). Le mécanisme est simple : les détenteurs de liquidité excessive cherchent à la réinvestir dans des actifs dont le rendement est supérieur à celui très faible des liquidités ; puisque l'offre de ces actifs est rigide (elle ne peut pas varier beaucoup à court terme), ceci conduit à une forte hausse des prix des actifs. Dans le cas des matières premières, cette « spéculation » se fait sur les marchés à terme, directement par l'achat de quantités physiques de matières premières, par l'achat de fonds investis en matières premières.

Quel est donc finalement le bilan aujourd'hui du « quantitative easing » ? Une conséquence favorable : il évite que la politique budgétaire très expansionniste des États-Unis ne conduise à une hausse forte des taux d'intérêt à long terme qui serait dramatique pour la croissance mondiale. Mais une conséquence très négative : la hausse des prix des matières premières qui freine la croissance des pays importateurs de matières premières et qui est totalement déstabilisante pour les populations les plus pauvres dans les pays émergents. Un ordre de grandeur : les importations d'énergie de la zone euro représentent en 2010 3 % de son PIB. Si le pétrole montait à 110 dollars le baril en 2011, la facture pétrolière atteindrait 4 % du PIB : la zone euro aurait perdu 1 point de son revenu. C'est gigantesque, alors qu'on attend 1,5 % de croissance...

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