"Super cycle" ou bien longue dépression

Par Philippe Mabille, rédacteur en chef "Editoriaux et opinions" à La Tribune.
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Jusqu'ici tout va bien ! C'est ce que devaient se dire, à Davos, les riches et les puissants du monde qui semblaient l'année dernière encore sur la corde raide, hésitant entre la reprise et l'effondrement. Vu de Davos, 2011 semble bien partie pour être une année de forte croissance pour le monde et cela change tout. Et si, aveuglés par trois années de crise financière, nous avions cessé de voir le monde tel qu'il est ? La myopie des économistes avant l'explosion de la bulle des subprimes a été assez dénoncée pour que cette thèse mérite l'attention. D'autant que la nouvelle façon d'être "contrarian" désormais, c'est d'être "bullish", optimiste. Même Mr Doom, Nouriel Roubini, s'y met, c'est dire...

Dans "The Super Cycle report", publié fin 2010, la banque britannique Standard Chartered estime ainsi que le monde se trouve au coeur d'un nouveau super-cycle économique. Un "super cycle" se traduit par une croissance mondiale élevée pendant au moins une génération, voire davantage, une forte poussée du commerce international, dans un contexte d'urbanisation galopante et d'investissement tiré par les innovations technologiques. Le monde a déjà connu deux super-cycles, rappelle le Dr Gerard Lyons, chef économiste de la Standard Chartered. Le premier, de 1870 à 1913, a accompagné l'émergence de la puissance américaine et la naissance de l'automobile. Le second, de 1945 aux années 1970, a été qualifié de trente glorieuses. Il a fait naître une gigantesque classe moyenne en Occident et permis l'émergence des pays exportateurs d'Asie.

Evidemment, dire qu'il y a un nouveau super-cycle à l'oeuvre depuis 2000 a de quoi nourrir le scepticisme dans une Europe engluée dans une croissance molle. Mais, si nous nous plaçons du côté du monde émergent, c'est pourtant une évidence. Le PIB mondial (62.000 milliards de dollars) a doublé de taille en dix ans et est déjà remonté à son niveau d'avant-crise de 2008. Et, si l'on en croit les calculs du "Super Cycle Report", il faut s'attendre à une multipli- cation par trois à prix constants d'ici à 2030, avec un nouveau rapport de force des grandes économies mondiales : dès 2020, la Chine supplanterait les Etats-Unis, et l'Inde prendrait déjà la troisième marche du podium mondial. Pour produire ce résultat, il faudra confirmer une accélération de la croissance réelle à 3,5% l'an entre 2000 et 2030, contre 2,8% entre 1973 et 2000.

La thèse du super-cycle d'expansion a évidemment de quoi nous rassurer. La crise actuelle ne serait pas la fin de l'histoire, décrite par les plus pessimistes. Mais l'Occident n'est pas tiré d'affaire pour autant puisque ce super-cycle n'est pas incompatible avec une longue dépression comparable à celle qui frappa l'Europe et les Etats-Unis entre 1873 et 1896. Pour les économistes de Standard Chartered, la particularité du super-cycle actuel est d'accélérer le basculement de l'Ouest vers l'Est. Le monde anglo-saxon en a pris acte : le Financial Times, bible du monde des affaires, titrait en une mercredi 26 janvier sur "The Western Crisis", la crise de l'Occident, avec un renversement complet des perspectives. C'est désormais l'Amérique et l'Europe qui inquiètent l'Asie.

Poursuivons le raisonnement, à l'intention de tous ceux qui plaident pour une "dose de protectionnisme" pour nous aider à affronter ces changements. Notons d'abord qu'il est pour le moins paradoxal que ce soit l'Ouest qui, après avoir tiré profit de l'ouverture des frontières, veuille désormais s'en affranchir. Bien sûr, il ne faut pas être naïf face à la Chine, mais le comportement de quasi-allégeance de Nicolas Sarkozy dans la préparation du G20 le démontre, un affrontement frontal serait la pire des solutions. Le monde est désormais trop interconnecté pour que l'on puisse imaginer un retour en arrière. Ce que veulent les grandes entreprises de l'Ouest, aujourd'hui, c'est d'accéder au marché des classes moyennes des pays émergents. Cependant que les entreprises de ces pays sont intéressées par les marchés matures d'Europe de l'Ouest et d'Amérique. La bataille future va se jouer sur l'accès aux ressources, qu'il s'agisse des besoins en capital, gigantesques, ou des besoins en énergie et en matières premières.

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