Ces Français schizophrènes de l'entreprise

Par Stéphane Soumier, rédacteur en chef de BFM.
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Schizophrénie : "psychose qui se manifeste par la désintégration de la personnalité et par la perte du contact avec la réalité. C'est la maladie mentale chronique la plus fréquente. Elle frappe, entre 15 et 35 ans, autant les filles que les garçons." Je vous cite là la note du site Doctissimo, et si vous pensez, comme moi, que la société française est schizophrène dans son rapport à l'entreprise, lisez la suite : "L'inhibition de l'activité mentale favorise le repli sur soi, ou autisme, avec apparition de fantasmes délirants ou hallucinatoires." Magique, non ? À l'heure où l'on rentre dans la période sensible des résultats des grands groupes, quand fantasmes délirants et hallucinatoires viennent balayer, en quelques heures, un an d'effort pour réconcilier les Français et l'entreprise.

Schizophrènes, nous le sommes collectivement dans notre obsession à opposer petite et grande entreprise. Je veux m'en faire le témoin, c'est un des sports favoris des clients de BFM Business. Dans cette période où vont défiler à l'antenne les grands patrons du CAC, vous allez être des centaines à nous le reprocher. Je n'essaierai pas de vous convaincre que c'est invraisemblable, mais que serait Blagnac sans EADS, Clermont sans Michelin, Sochaux sans Peugeot, et les filières de recherche, l'écosystème que draine autour d'elle une entreprise comme Schneider Electric. Carrefour est bel et bien le premier employeur de France, les grands réseaux bancaires ne doivent pas être loin derrière, à moins que ce soit Vinci ou Bouy­gues. L'Oréal continue à former des générations de rois du marketing et du management. J'arrête là ! Ce sont des évidences.

Que reproche-t-on aux groupes du CAC ? De ne pas créer d'emplois en France ? Je voudrais alors que l'on médite sur les preuves par l'absurde que nous ont apportées les dossiers Pechiney ou Arcelor. C'est quand ils s'en vont qu'ils nous manquent. C'est idiot mais c'est pourtant le cas. De pressurer les PME partenaires ? "Welcome to the jungle !" Effectivement, le business n'est pas un conte de fées. De ne pas payer d'impôts en France ? C'est un fait. On peut tordre les chiffres dans tous les sens, on doit arriver à une moyenne de 8-10% pour le CAC contre 25% pour les PME (je vous livre les chiffres sans garantie, ils sont en permanence soumis à polémique intense). D'ailleurs, les quelques patrons du CAC, auxquels j'ai pu poser la question, admettent qu'il y a là un problème.

Mais soyons sincères, cette question des impôts est anecdotique. Comme l'image arrogante que peuvent renvoyer certains de ceux qui dirigent ces groupes. En fait, j'ai bien peur que ce soit leur réussite qui dérange notre pays. Rien de grave après tout. Que la bonne société se déchaîne périodiquement contre une trentaine de groupes surpuissants (Vallourec, Technip, STMicro, d'autres encore, sont à l'abri, trop techniques) n'empêche pas la Terre de tourner ? C'est justement la question que je me pose. Une récente enquête TNS Sofres pour l'Institut de l'entreprise mettait une fois de plus en lumière l'image déplorable des grands groupes et l'image formidable des PME. Comment cette schizophrénie guérira-t-elle ? Et si c'était l'image des entrepreneurs qui venait à en souffrir ? Et notre désir de croître ? N'y a-t-il pas là les racines profondes de ce mal français qui condamne nos entreprises à rester petites. Yvon Gattaz, l'ancien patron des patrons, s'amuse souvent à dire qu'en France "on adore les gazelles, on oublie qu'elles se font dévorer par les lions". Dans son dernier bouquin, Geoffroy Roux de Bézieux écrit une phrase formidable : "Quand un entrepreneur vend son entreprise, les zéros qui s'alignent sur le chèque font un peu l'effet de la cigarette après l'amour." La question que l'on pourrait se poser, c'est de savoir pourquoi nous nous acharnons à condamner ceux qui veulent prolonger le plaisir ?

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