En 2012, le choc de deux France

Par Philippe Mabille, rédacteur en chef et éditorialiste à La Tribune.
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Mais où est donc passé le Nicolas Sarkozy de 2007 ? La crise a changé le président, l'a transformé même, comme il s'est encore efforcé de le démontrer hier soir lors de son émission télévisée face aux Français. Fini le candidat de la rupture. Place à Sarkozy 2012, le candidat protecteur qui intime à ses ministres de passer leurs vacances en France et veut prémunir les Français contre les excès de la mondialisation. Dans cette recherche d'une nouvelle image, le président du G20 a reçu un soutien inespéré cette semaine de la part du secrétaire américain au Trésor, Tim Geithner, qui, au Brésil, a estimé que les positions françaises contre la hausse des prix des matières premières agricoles étaient contraires aux intérêts des exportateurs. "Merci Tim !", devait penser l'hôte de l'Elysée qui, pendant toute l'année, compte bien se servir de la tribune du G20 pour l'aider à renforcer son image de défenseur des petits contre les gros, des agriculteurs français contre les traders, des industriels contre les agioteurs de la finance.

Cet axe politique correspond à l'évidence à l'évolution profonde de l'électorat qui a lui aussi été transformé par la crise, sans que l'on sache encore très bien quelles en seront les conséquences concrètes sur le bulletin de vote. Les politologues et autres instituts de sondages en sont réduits à faire des hypothèses, en espérant ne pas se tromper. Brice Teinturier, le patron d'Ipsos, formulait lors d'un récent colloque deux hypothèses qui ne s'excluent pas forcément l'une l'autre, mais peuvent se superposer au cours de la campagne.

Dans le premier scénario, c'est le sentiment de désillusion qui l'emporterait, avec le sentiment que rien ne change dans le monde d'après. N'attendant plus rien de la politique, désenchantés, les électeurs se réfugieraient en masse vers l'abstention et le recours aux extrêmes, dans un climat de repli nationaliste, de rejet des élites et de l'euro. On a déjà vu à l'oeuvre ce phénomène de poussée de l'extrême droite en France le 21 avril 2002, mais aussi plus récemment dans toute l'Europe, notamment dans les pays scandinaves, en Suède, en Norvège, au Danemark, en Finlande, tous pourtant considérés comme des démocraties sociales éprouvées et solides. Aux États-Unis, ce mouvement s'appelle les Tea Party et a provoqué la défaite d'Obama aux élections de mid-term. Même au Royaume-Uni, la montée du British National Party a joué un rôle lors des dernières élections tandis que le Premier ministre conservateur, David Cameron, vient, à sa grande surprise, de recevoir les félicitations de Marine Le Pen pour avoir dénoncé l'échec du communautarisme dans son pays !

Pour contrebalancer cette tendance, Brice Teinturier compte sur un autre vecteur, plus positif, celui d'un ralliement des Français à la mondialisation. L'adhésion forte de l'électorat à la candidature de Dominique Strauss-Kahn, qui reste le meilleur candidat socialiste de second tour face à Nicolas Sarkozy, est le signe de cette ambivalence des électeurs. Dans un monde dominé par la Chine et l'Allemagne, les Français seraient en train de prendre conscience que les solutions nationales ne règlent rien, que le volontarisme politique ne trouve son sens qu'à l'échelle d'un bloc régional suffisamment puissant, qui s'appelle l'Europe.

Ce choc des deux France, celle qui veut qu'on la protège et celle qui accepte les nouvelles réalités du monde, pourrait bien dominer la campagne électorale à venir. Nicolas Sarkozy, ne pouvant se fonder sur un bilan et des résultats tangibles, cherchera à montrer par des actes sa volonté de tenir les deux bouts de la ficelle. Che Guevara au G20 et Jean Monnet en Europe, le président sortant a une position moins inconfortable que celle du Parti socialiste, obligé de trouver un candidat qui incarne à la fois la crédibilité, la compétence et la rupture avec le sarkozysme. L'actuel directeur général du FMI remplit bien la première fonction, mais DSK marque moins sa différence sur la seconde. C'est à lui, cette fois, de trouver le chemin de la rupture et du réenchantement politique qui avait si bien profité à son rival il y a quatre ans.

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