Géopolitique et marchés : le nouvel univers des possibles

Les politiques de relance ont provoqué une flambée des matières premières, laquelle a alimenté des révolutions qui, à leur tour, ont entraîné une hausse du pétrole... perturbant ainsi la reprise économique... Le désordre financier se traduit en instabilité géopolitique qui nourrit la spéculation.
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De la chute de Louis XVI à celle de Ben Ali, l'inflation des prix des denrées alimentaires a souvent été l'étincelle qui a provoqué les révolutions, mettant en évidence le caractère confiscatoire et injuste des régimes autoritaires et aristocratiques.

Le printemps arabe actuellement à l'oeuvre n'a pas échappé à cette règle mais, dans les bouleversements actuels, c'est l'instabilité financière qui est à l'origine de la flambée des produits agricoles. Les politiques de relance massives menées par les gouvernements occidentaux, l'assouplissement quantitatif des banques centrales, les sauvetages à répétition de toutes les entités insolvables systémiques, des banques aux Etats, ont finalement eu raison du mal de la déflation, provoquant le symptôme opposé, l'inflation. L'or en premier lieu, puis les métaux de base, le blé, le maïs, le soja, le sucre, le café, le coton et le pétrole ont connu des hausses de 50% à 300%, pénalisant les populations les plus fragiles. Si les aléas climatiques et la demande des pays émergents peuvent expliquer une partie de la hausse des prix, une hausse aussi forte et uniforme sur toutes les matières premières, des métaux précieux aux denrées alimentaires, dans une conjoncture mondiale très incertaine, est sans doute reliée à un phénomène d'ordre monétaire : la hausse des commodités reflète la dévaluation des monnaies et la perte de leur statut de valeur de réserve.

La flambée des denrées alimentaires a mis en évidence l'inégale répartition des ressources et la confiscation des richesses par les dictateurs et leur entourage. Le virus de l'aspiration à la prospérité et à la démocratie se diffuse inexorablement à travers le monde. Du Maghreb au Moyen-Orient, la liste des pays qui connaissent des troubles sociaux ou politiques ne cesse de s'allonger : Algérie, Libye, Soudan, Bahreïn, Yémen, Oman, Syrie, Arabie saoudite, Iran, pour ne citer que les principaux. Les situations de ces pays sont très variées, à la fois en ce qui concerne la position des partis religieux et de l'armée et la structure plus ou moins tribale de leurs sociétés. Néanmoins, la diffusion à travers le Web des images de révolte et des appels à manifestation donne une cohérence et une unité à ce mouvement de contestation. Partout où on les croyait verrouillées, la parole et la critique se libèrent. La contestation s'autoamplifie par sa dynamique propre. Cette réaction en chaîne de contestation populaire est un phénomène chaotique dont nul ne connaît l'issue.

Parallèlement, le pétrole s'approche de ses records de 2008. Le pétrole libyen, de bonne qualité et directement utilisé par les raffineurs pour produire le diesel, fait défaut. Pourtant, il ne s'agit que de 2% de la production mondiale, une quantité largement absorbable par les capacités non utilisées de l'Arabie Saoudite. Un défaut supplémentaire de l'Algérie provoquerait un défaut total de 3 millions de barils par jour, soit 3,5% de la production, ce à quoi les capacités excédentaires saoudiennes pourraient également remédier... Mais la réduction des capacités excédentaires du royaume saoudien fait peur. Des analystes de Nomura estimaient récemment que l'interruption des productions libyenne et algérienne ramènerait ces capacités libres au niveau de 1990 et serait de nature à propulser le prix du baril à 220 dollars...

Si l'Arabie Saoudite est jugée plus stable que ses voisins en raison d'une population moins divisée religieusement et d'une manne pétrolière aisément mobilisable par la famille royale pour acheter le silence des différentes tribus qui composent le royaume, les marchés financiers y anticipent une instabilité politique croissante. Ainsi, l'indice saoudien Tadawul All Share a chuté de 10% depuis le début de l'année tandis que le coût de financement de l'Arabie Saoudite, pourtant très peu endettée, s'est accru de 70 points de base en quelques jours. C'est à des scénarios plus inquiétants que les seuls problèmes libyen et algérien que le marché pense déjà : révolte des populations chiites du Golfe, attaques d'installations pétrolières, blocages de points de passage stratégiques...

Dans un monde devenu plus incertain, il faut se résoudre à un prix du pétrole plus élevé et surtout plus imprévisible. Cette incertitude se traduit en aléas macroéconomiques et financiers. Une hausse trop prolongée du prix du baril de pétrole peut en effet faire avorter une reprise économique mondiale encore fragile. Ce processus a d'ailleurs déjà commencé dans les pays émergents, où la hausse des matières premières est la plus pénalisante sur les plans économique et social. Parallèlement, l'inflation de certains biens a commencé à provoquer en Europe une hausse des taux qui risque de raviver les craintes sur la solvabilité des pays développés.

Or, un ralentissement marqué de la croissance mondiale ou de nouvelles alertes sur les dettes souveraines provoquerait l'effondrement de nombreux actifs financiers jusqu'ici soutenus par la politique de taux bas des banques centrales. Ainsi, la frontière n'a jamais été aussi mince entre un pétrole à 200 ou à 70 dollars, entre inflation et déflation, entre hausse et effondrement des actifs risqués.

Le désordre financier s'est traduit en instabilité géopolitique qui à son tour alimente l'instabilité des marchés. Alors que les interactions entre géopolitique, économie et marchés s'accroissent, il faut se préparer à l'élargissement de l'univers des possibles.

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