Libye, une opération périlleuse pour Sarkozy

Vingt ans après la première guerre du Golfe, la France est engagée dans une nouvelle opération militaire dans les pays arabes, au nom du respect du droit international. Une intervention légitime, mais non sans risques.
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Nicolas Sarkozy peut savourer les premiers succès de l'opération « Aube de l'Odyssée » en Libye. C'est largement grâce à sa volonté que Benghazi, la dernière grande ville détenue par les rebelles, n'est pas tombée - à quelques heures près - aux mains des troupes loyales à Mouammar Kadhafi, et que sa population n'a pas été massacrée. La résolution 1973 de l'ONU a donc été respectée. Mais la tentation est grande de poursuivre l'Odyssée jusqu'à l'Ithaque qu'est Tripoli et d'en dégager le prétendant qu'est Kadhafi.

La situation n'est pas sans rappeler celle dans laquelle se trouvait François Mitterrand, lors de la première guerre du Golfe en 1991. Son engagement contre le président Saddam Hussein, un ex-ami de Paris, qui avait envahi le Koweït, lui avait permis de redorer son blason dans l'opinion française durant six bons mois, avant de s'effondrer. Car l'opération « Tempête du désert » s'était soldée par un renforcement du tyran, une intensification de ses exactions, et un embargo de dix ans, dont avait surtout pâti le peuple irakien. Nicolas Sarkozy peut, à bon droit, se targuer de ce précédent pour justifier la nécessité de faire chuter Mouammar Kadhafi. Un tel succès international, alors qu'il est au plus bas dans les sondages, l'aiderait à retrouver les faveurs des Français, à un peu plus d'un an de la présidentielle. Mais la manoeuvre, périlleuse, risque de se heurter à quatre obstacles.

Il y a d'abord la désunion de l'Union européenne. Alors que la zone euro peine à sortir de la crise de la dette souveraine, les divisions s'étalent à nouveau au grand jour. L'Allemagne, le poids lourd économique du continent, s'est abstenue lors du vote à l'ONU, craignant que les frappes aériennes ne se transforment en guerre et ne stoppent le mouvement de démocratisation dans le monde arabe. En cas d'enlisement libyen, Berlin pourrait se prévaloir d'avoir eu raison. À cela, s'ajoutent les réticences d'autres pays européens à s'engager sous la seule bannière des va-t-en-guerre de la coalition. Parmi eux, l'Italie plaide en faveur d'un commandement placé sous la responsabilité de l'Otan, une option à laquelle s'oppose Paris.

Deuxième difficulté à surmonter, les divisions internationales. Si Paris a su rallier ses partenaires au sein du Conseil de sécurité, le consensus international semble, depuis, avoir volé en éclats. Barack Obama a averti qu'il ne souhaite pas poursuivre l'Odyssée au-delà de quelques jours ni en assurer le coût. Quant à l'opinion publique des pays arabes, elle est franchement hostile à une « croisade », selon le mot de Vladimir Poutine, dans la région. La Ligue arabe, par la voix de son président Amr Moussa, a donné le ton, en doutant dès dimanche de la tournure prise par l'opération, passée de la « protection des populations » à une guerre contre le régime.

Troisième inconnue, le bénéfice politique que Nicolas Sarkozy pourra tirer de l'intervention en Libye. Incontestablement, le président de la République a fait preuve de flair en s'engageant très vite dans cette affaire. Faisant taire les critiques, le chef de l'État a su aussi jouer collectif en se plaçant du côté du droit international pour justifier l'opération militaire. Le 16 janvier 1991, François Mitterrand avait eu recours aux mêmes arguments pour légitimer la participation française à la guerre du Golfe. Un mois après le début des hostilités, la cote de popularité de l'ancien président socialiste avait grimpé de 10 points, pour atteindre 65 % d'opinions favorables.

Deux décennies plus tard, Nicolas Sarkozy, qui aspire à restaurer son image sur le plan international, a peu de chances de parvenir au même résultat. D'abord, parce qu'il part de très bas, sa cote de popularité étant deux fois plus faible que celle de François Mitterrand au début du conflit du Golfe. Ensuite, le président socialiste, anticipant les réaction négatives de l'opinion publique, avait soigneusement préparé le terrain, en multipliant les interventions télévisées (sept avant le conflit et quatre ensuite). En comparaison, la com de Nicolas Sarkozy, dont fait partie son déplacement sur la base aérienne de Solenzara mardi, est beaucoup plus improvisée, sans doute par manque de temps. Enfin, l'image de chef de guerre ne dure guère longtemps. En 1991, la courbe de popularité de François Mitterrand était retombée comme un soufflé après le conflit, les Français étant confrontés à un dur retour aux réalités économiques.

Enfin, dernier mystère, le coût de l'opération en Libye. Interrogé par « La Tribune », le ministère de la Défense ne fournit aucune estimation du montant de la facture. Mais l'intervention libyenne risque d'alourdir encore un peu plus l'enveloppe des opérations extérieures. Certes, elle peut s'arrêter « à tout moment » si Mouammar Kadhafi se conforme aux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU et accepte un cessez-le-feu, a indiqué mardi Alain Juppé. Pour l'heure, elle se poursuit, et le budget 2011, qui prévoit 630 millions d'euros « d'Opex », devrait vite s'envoler, grevant les comptes publics.

 

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